Echo d'un miroir | feat Ruby | 12.09.2021

Helga appréciait cet endroit. Elle qui avait entendu parler de l'époque médiévale seulement dans les livres, voilà qu'elle s'y confondait en buvant une bonne lampée de bière dans une chope typique de cet espace temps. Le goût n'était pas le même qu'une boisson « classique » dira t'on, plus moderne. Il était plus fort, brut et tapait plus vite encore sur le crâne. Toutefois, la jeune femme en appréciait la saveur toute à son image. Assise au comptoir de la taverne, elle frappa le cul de son verre sur le bois massif en soupirant rageusement. Depuis sa conversation avec la rouquine, la détective en herbe trouvait à peine le sommeil. Son esprit ne faisait que remuer et macérer toutes ces informations pour en tirer le meilleur jus -tout comme la production d'une brune ambrée pour l'affiliation. Elle devait mettre de l'ordre, extraire une stratégique qui causerait le moins de dégâts possibles même si indubitablement, le pari demeurait risqué. Cyriacus n'avait d'ailleurs pas très bien réagi à l'idée d'utiliser la rouquine comme appât mais de toute évidence, avec ou sans son accord, elle ne se ferait pas prier pour mettre ses plans à exécution. Il demeurait en revanche un autre point qui la travaillait assez pour s'en soucier : son nouveau pouvoir. Si elle s'en sortait plutôt bien, la jeune femme n'était pas dupe, ce ne serait pas suffisant pour confronter la menace extérieure. Mais si son ami lui tapait sur le système en la mettant en garde contre le danger de sa magie, elle ne pouvait nier la véracité de ses propos : personne ne devait savoir de quoi était capable ses flammes. Sous aucun prétexte. La frustration lui rongeait les entrailles comme un chien affamé qui n'avait qu'un os à se mettre sous la dent. Il fallait qu'elle se dégote quelqu'un, un enseignant, un professeur. La seule entrave à cette initiative, c'était de pouvoir accorder sa confiance et cela, s'avérait être une tâche très ardue en la personne d'Helga Adwing, celle qui ne manquait clairement pas d'éloge dans son mépris envers la race humaine -ou tout autres individus d'ailleurs.

Elle râla en se pinçant l'arrête du nez « Un autre, Volgun » Le maître tavernier s'exécuta. Il avait pris le pli de ses mauvaises humeurs et se révélait toujours très patient à son égard. Plus par souci de gagner son beurre que par compassion, ne vous y méprenez pas « L'enquête avance, détective ? » Ses prunelles se levaient sur lui, reflétant la lumière des bougies qui semblaient embraser son regard. Elle haussa les yeux au ciel. Décidément, elle parlait bien trop quand elle buvait, un mauvais penchant dont elle ne parvenait pourtant pas à se débarrasser. C'était pareil à Atlanta. Son supérieur lui avait reproché tant et tant de fois, d'arrêter de jeter ses aventures dans l'oreille du premier venu, surtout dans le cadre d'une enquête confidentielle. Mais Helga, n'en faisait toujours qu'à sa tête. Que ce soit maintenant, ou dans son ancienne vie.

Son ancienne vie.

Ses paupières retombaient sur la chope posée à côté de son coude. Son expression s'assombrissait, en proie à une nostalgie qui ne la quittait pas depuis son arrivée ici. Pourtant, elle savait qu'elle devrait en user pour en faire une énergie motrice, pour la pousser à tout donner afin de rentrer à la maison. Rejoindre ses frères. Ses frères qui lui manquaient tant. Mais parfois, la tristesse était seulement plus forte et sa motivation devenait vacillante comme une plume tremblante sous la pluie, achevée par les gerbes d'eaux qui l'alourdissaient, peinant à tenir la gravité de son envol. Sa bouche souffla longuement, ne retenant pas son irritation « Et toi, tes petites affaires fonctionnent ? » Ses iris remontaient à nouveau vers ce visage un peu joufflu, le perforant presque de son intensité. Volgun tira une grimace. Oh, elle n'était pas dupe. Ce monsieur, aussi gentil pouvait-il paraître, n'était pas pour autant le plus blanc de tous. Toutefois, elle n'en disait rien. Chacun ses secrets et qui sait, peut-être qu'il lui serait utile un jour. Elle connaissait ses magouilles, du moins assez pour savoir qu'il marchandait des reliques intéressantes. Et il savait aussi, qu'il ne fallait pas se la mettre à dos. C'était comme d'un commun accord silencieux, que de se laisser mutuellement tranquille en se rassasiant d'une bonne bière autour de son comptoir.

Mais soudain, sa tête pivota rapidement vers ce qui semblait être un courant d'air qui germait de l'invisible. Ses ovales s'écarquillaient alors, prise au dépourvu, tandis que sa main sur un réflexe aiguisé, agrippa ce qui semblait être une touffe de cheveux « Qu'est-ce que tu fous toi ? » Ses phalanges tiraient sur cette chevelure blonde pour l'inciter à rester en place. Elle les avait sentis, ses doigts dans la poche de sa veste longue. Helga ne portait jamais de sac, elle trouvait ça embarrassant alors une main un peu aventurière pouvait trouver aisément ses comptes ailleurs. Dans ses poches, par exemple. La réponse fut toutefois immédiatement trouvée dès lors qu'elle comprenait « Rends moi ça tout d'suite petite peste » cracha t'elle, acide, le front plissé par un agacement sous-jacent.

Oui car si l'ambiance lui paraissait sympathique ici, les gens qui peuplaient cet endroit n'étaient pas nécessairement les plus fameux non plus. Et autant dire, Helga ne faisait cas de personne, même s'il s'agissait d'une gamine « Magne toi »

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Helga écarquillait ses grands yeux argentés, mitigée sur son propre ressenti et sur ce qu'il venait de se passer « Tu viens vraiment de me hurler dessus là ? » C'était sûrement, ce qui lui déplaisait assurément le plus. Toutefois, un autre détail lui avait tout autant sauté à l'esprit, la perturbant au passage -la gamine n'avait pas ouvert la bouche. Non, les mots avaient seulement ricoché dans sa tête. Peut-être seulement, ne l'avait-elle pas vu faire ? Mais au constat de son expression, il était fort à parier que la chapardeuse demeurait bien plus troublée qu'elle, au point d'en lâcher ses affaires. Toutefois la jeune femme n'eut pas le temps de creuser davantage que déjà, un homme au ventre qui débordait de son ceinturon, débarquait le visage visiblement colérique « Teh la mioche, t'vas pas croire qu't'vas t'barrer sans payer l'cuistot ! » du moins, c'était ce qu'elle parvenait à comprendre la sur ce langage frais et écrémé par quelques degrés d'alcool. Le rondouillard l'attrapait ensuite par l'épaule pour la retourner sur un volte-face brutal, crachant son haleine devant son nez « s'tu payes pas, t'vas d'voir tout r'cracher ma p'tite »

Un soupir exaspéré franchissait les lèvres de la jeune femme, roulant des orbites pour imposer une halte là « Dégage Lory. Tu pues le fennec » Sur ces mots, elle se levait pour ramasser son portefeuille par terre, lui jetant par ailleurs les pièces réclamées si gentiment « Allez tiens. Et va te faire foutre aussi au passage » Le bedonnant grimaça, plia les genoux difficilement pour prendre son paiement avant de la gratifier d'une insulte sympathique. Elle n'en prit pas notes, plantant un œil en coin à l'intention de la petite peste. Mais... Elle ne se trouvait déjà plus à sa place.

« Elle s'est barrée on dirait » commenta Vogun derrière le comptoir en s'estimant bien fière de lui indiquer ce qu'elle savait déjà. Ce qui lui tapa directement sur les nerfs « Quel sens de l'observation » rétorquait-elle de cette acerbité superbe dont seule elle, avait l'inestimable secret. Sur un grognement, Helga tourna les talons pour partir à sa recherche, prenant d'instinct la porte. Elle n'eut que le temps de voir une touffe de cheveux blonds s'esquiver comme un lapin effrayé au détour de la ruelle principale « Si tu crois pouvoir m'échapper morveuse. Putain j'déteste les mioches » Et pourtant, elle s'en allait déjà pour aller la retrouver. Une cigarette glissa entre ses lèvres, tandis que sa silhouette s'avança sur une petite ruelle parallèle, là où elle était certaine de pouvoir la tauper sur le prochain carrefour sans l'once d'un effort. Elle avait pris l'habitude de sillonner tous ces dédales terreux depuis le temps. Ce furent les cris quelques mètres plus loin qui lui facilitèrent la tâche, apercevant plus loin dans l'axe principal, une charrette renversée avec un propriétaire furax, hurlant contre une demoiselle d'un mètre cinquante approximativement avec des mèches violines.

Un rictus écorna sa bouche « Je t'ai trouvé la mioche » décidément, elle était plutôt douée pour s'attirer des ennuis, ce qui étrangement, lui rappela tout de suite quelqu'un d'autre. Elle grimaça. Valait-il mieux ne pas faire de comparaison, ça lui porterait malchance. Quelques enjambées, sa main agrippa son poignet pour la forcer à la suivre sous les jérémiades courroucées du cocher « Sérieux tu vas t'en prendre une si tu continues » intimait-elle sur un râlement « Viens, reste pas là »

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Helga se souvenait de ce garçon. Elle l'avait interrogé dans le cadre d'une affaire sordide. Une affaire que ses collègues avaient préféré classer sans suite, pour s'en débarrasser. Mais pour la jeune femme, à l'époque, son flair ne la trompait pas : il y avait bien une raison plus noire, dissimulée sous la cendre. Elle aurait pu l'ignorer, mais c'était sans compter sur cette faim vorace de justice qui l'imbibait jusqu'à la moelle, l'empêchant parfois même de dormir, qui la poussait à se pencher sur ce cas. Elle se rappelait de ces yeux vides et de son expression morte. Killian Jones. Le garçon qui avait perdu ses parents dans un incendie. Et puis, il y avait autre chose. Une saveur qu'elle avait reconnu entre milles autre parfums âcres, celui de la haine. Un parfum qu'elle inspirait également depuis son propre drame familial. Un drame qui l'avait enveloppé d'une noirceur visqueuse et cruelle, qui l'avait nourri et qu'elle avait su développer au point d'en faire une obsession malade.

La haine, qui se mariait formidablement bien à la vengeance. Et c'était comme si, ses propres sentiments avaient naturellement faire échos aux siens sans même devoir se l'expliquer.

Comment aurait-elle pu l'ignorer ? Comment aurait-elle pu seulement tourner la tête en lui demandant de poursuivre son existence ? Non, bien-sûr que non. Alors elle avait fait le choix de faire de son histoire, une quête personnelle. La jeune femme l'avait pris sous son aile noire, le couvrant de toute sa protection muette mais omniprésente. Et au delà de toute chose, elle lui avait fait une promesse. Une promesse venimeuse qu'elle avait appliqué tel un serment vorace et menaçant. Helga Adwing, portait les ténèbres autant qu'elle pouvait les invoquer de toute sa hargne. Et elle avait réussi à lui rendre ce contrat dûment rempli, avant de disparaître de sa vie. Mais la jeune inspectrice avait toujours conservé ce souvenir, dans un coin de sa tête.

Et cette demoiselle, lui rappelait très exactement le relent de cette rencontre pour un motif encore inconnu. Ses prunelles se plantaient comme des couteaux argents sur ce visage boudeur. La môme ne cherchait pas à s'enfuir et de toute évidence, ce n'était pas vraiment utile « Nous y passerons autant de temps qu'il faut ma petite » Ses bras se croisaient sur sa poitrine, la posture toujours aussi raide qu'un piquet d'acier, soufflant un nuage de nicotine par le nez « D'où est-ce que tu viens ? » Son ton ne soulignait aucune menace, ni même agressivité. Il était seulement égal à lui-même, autoritaire. Elle soupira « Tu ne survivras pas ici en faisant les poches. Tu peux bien râler, te mettre en colère, ça ne changera pas grand chose alors... » Ses épaules se haussaient « A l'auberge, tu m'as demandé de me lâcher d'une manière un peu spéciale et tu as paru surprise sur le moment. Alors, vas-y, je t'écoute. Raconte moi » Après tout, elle était aussi passée par là.

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Helga détestait les enfants et ce pour plusieurs raisons. Mais la véritable, elle n'oserait jamais se l'avouer -elle n'avait jamais bénéficié de l'attention parentale dont elle avait cruellement manqué. Évidemment, ses frères avaient toujours été présents pour elle, mais c'était différent. Petite, elle avait toujours envié ses camarades. De voir ces visages souriants à la sortie de l'école quand les adultes venaient chercher leurs progénitures. Une vision étouffante, exécrable, la ramenant sans cesse à cette réalité déplaisante qu'elle n'y goûterait plus jamais. Et du haut de sa trentaine, elle avait traîné cette fêlure. Helga trouvait ces mômes trop gâtés, trop heureux, trop ingrats. Elle les méprisait, car ils incarnaient tout ce qu'elle n'avait pas eu le droit d'avoir. Un droit, arraché, bien trop jeune. Celui d'être seulement choyée.  

Sa bouche se déformait sur une grimace en écoutant la gamine « Ex-flic. « Je n'ai jamais vraiment aimé bosser pour des gens qui se foutent de la gueule du monde » prenait-elle le soin de rectifier immédiatement cette donnée « et pour ta gouverne, t'es pas la seule môme paumée des Etats-Unis » Sèche, elle tirait une volute de fumée sur sa cigarette, la considérant d'un œil dégarni de sympathie « J'en ai croisé tout un tas, des bambins dans ton genre » Mais elle ne les avait jamais emmerdés. C'était une sorte d'accord tacite. L'ancienne sergente fermait les yeux sur leurs frasques, ne balançait aucun nom et les avertissait même quand une ronde était prévue. En échange, ils lui foutaient la paix. Et mieux encore. Quand elle avait besoin, elle n'avait qu'à leur demander d'aller chercher des informations pour sa gouverne. C'était plutôt pratique et cela lui permettait aussi de conserver son véhicule en bon état, quand tous les autres autour se faisaient cramer sur toute une rue. Un gage de loyauté qui la satisfaisait amplement.

Elle soupira à la suite du discours « Je m'en doutais » D'un geste machinal, elle jetait sa cigarette par terre et tendit la paume vers elle « Regarde bien » D'abord un crépitement mauve au creux de sa main puis soudain, des flammes jaillissaient joyeusement pour révéler tout leur éclat « Tu as dû bénéficier d'un pouvoir en arrivant ici » Les langues de feu violines s'éteignaient ensuite, croisant les bras sur sa poitrine « Tu vas devoir composer avec ma grande » Un rictus écornait le coin de sa bouche « Au début c'est surprenant mais je t'assure que tu t'y feras avec de l’entraînement » Ou pas, mais elle partait de ce principe que chacun devait savoir y mettre du sien et s'adapter. S'ils n'y arrivaient pas, ce serait la loi de la jungle qui ferait le ménage « Et puis qui sait, ça pourra t'être utile » Plus que ça même. Ca pourrait lui être utile, à elle. Néanmoins, il était primordial tout de même de la guider dans cette mésaventure. Pourquoi ? Elle ne le savait pas réellement. Peut-être par nostalgie. Par pitié. Par devoir ?

Par compassion, parce que j'aurai aimé qu'on sache m'aider à sa place.

Elle chassa vite cette pensée de sa tête « Dis-moi, pourquoi penses-tu que je devrais te connaître ? C'est quoi ton nom ? »

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