Danse avec les papillons | feat Elix | 21/07/2021

Adossé contre l’écorce d’un arbre ancien à détailler les mouvements de la foule en contrebas, le métis finissait par relever le menton en direction de cette toile bleutée tachée de coton d’une blancheur sans pareille. L’arrière de son crâne s’appuyait contre le noeud d’une branche épaisse pour laisser les muscles de sa nuque au repos. Le passage de quelques branchages parsemés de feuilles dans son champ de vision attisait son attention sur les rayons du soleil qui courraient aux travers de quelques failles, venant réchauffer la peau touchée; un carré de pommette, la courbe d’un poignet ou encore le rebord d’une clavicule. La scène avait quelque chose de si apaisant qu’elle faisait ralentir le rythme cardiaque de l’adulte, réduisait la fréquence du souffle qui s’échappait de ses lèvres, à tel point qu’il lui serrait presque possible d’en oublier pourquoi il se trouvait là à cet instant précis. Celui-ci prenait juste le temps d’observer et d’apprécier le monde qui l’entourait. Une légère pause pleine de douceur dans son excursion.
La mission qui avait été confiée au distrait consistait à repérer des pouvoirs ou quelques capacités jusque là inconnues dans leurs registres et suivre certaines personnes qui pouvaient intéresser Reika afin de réaliser plus tard un compte rendu. Il fallait toujours rester à l’affût. En savoir autant que l’ennemi, à minima, même si plus était bien mieux pour garder un avantage.

C’est pourquoi l’un de ses papillons s’était perdu en ville, virevoltant sous les ordres de son invocateur, qui lui, faisait couler de lourdes bouffées de fumée le long de son œsophage, celles-ci venant encrasser un peu plus les poumons de leur victime à chaque inspiration. Ce petit espion engendrait deux autres êtres ailés qui eux, se permettaient plus de libertés, n’étant pas soumis au contrôle que pouvait imposer la créature sur leur libre arbitre. C’est ainsi que la petite poupée s’était trouvé son camarade de jeu. L’insecte qui papillonnait sans réel objectif finissait par revenir auprès de son créateur qui semblait désormais en avoir finit de sa mission, après s’être arrêté sur quelques fleurs.
L’espion était revenu, il s’était glissé à creux de l’épaule de celui à la peau léchée par le soleil et avait délivré les maigres informations qu’il avait réussi à obtenir. Rien de bien probant. Cette nouvelle décevante arrachait un long soupire toxique qui s’élevait vers les cieux et un léger mouvement de nuque de gauche à droite qui faisait glisser ses longues mèches contre son dos. Les trouvailles n’étaient pas celles attendues.

Une voix ?

Le regard ambré se détachait de sa contemplation du paysage pour tomber sur l’être à qui elle appartenait. Une chose sans nul doute adorable. Petite. Enfantine. La nuque de l’inconnu s’inclinait vers la droite après avoir quitté l’appui que lui offrait l’écorce. Son genoux gauche se repliait pour trouver une place contre son pectoral et son bras son déposait sur celui-ci. Ce n’était pas qu’une simple œillade innocente, il cherchait à voir si un détail intéressant pouvait être perceptible de là où il se trouvait perché, mais elle ne semblait être qu’une simple enfant…

- Tu ne devrais pas être auprès de tes parents ? C’est dangereux tout seul, pour une petite fille.

Parce qu’à la vue de cette bouille adorable, on ne pouvait que penser que deux adultes responsables étaient à sa recherche, l’hélant de son prénom avec une inquiétude palpable dans le fond de leurs cordes vocales, mais Elix, depuis son arbre, n’entendait rien de tel. Étrange. Était-elle perdue et complètement insouciante ? Cette idée ne semblait pas lui convenir alors l’homme cessait tout simplement de chercher pour se concentrer sur ces grands yeux innocents. Rapportant son filtre bruni par plusieurs inhalations au bord de ses lèvres, le mouvement d’une paire d’ailes proche de son visage lui faisait prendre un temps de pause. Très léger. À peine perceptible. Puis d’un geste de tête, il envoyait le papillon descendre pour tourner autour de la jeune enfant, deux tours précisément, à un rythme correct, effectuant une pirouette proche de sa joue avant de se faner après être passé derrière elle. Comme s’il avait eu le temps de se cacher alors qu’il n’existait tout simplement plus.

Presque imperceptiblement, ses sourcils faisaient un aller retour d’une demi seconde sur son regard étincelant face à un sentiment de surprise tout particulier. La gamine était en train de parler d’elle à la troisième personne, comme les êtres vaniteux ou dérangés, il n’était pas en train de rêver là-dessus ? C’était ce qui lui avait sauté aux yeux en premier lieu, avant d’intégrer l’annonce d’un manque de parents. Ce n’était pas rare, dans ce monde, de voir des gamins grandir seuls. Triste. Mais pas rare. Alors le métis se contentait d’acquiescer à cette nouvelle sans que son visage ne prenne de teinte peinée, même l’espace d’un instant. Cette enfant n’était pas son problème après tout, il n’avait pas de pitié à dépenser inutilement car même elle ne semblait pas spécialement affectée par sa condition d’orpheline. Sa présence était une distraction, tout au plus, mais le bord de ses yeux ne se remplirait pas de quelques perles salées pour ces grands yeux innocents. Alors sagement, sans changer de position et tirant une nouvelle bouffée de fumée sur son morceau de tabac, l’adulte écoutait celle en contrebas. Ses paroles sonnaient étrangement aux oreilles d’Elix, un maître ? Un soupire opaque franchissait la barrière de ses lèvres, teinté d’une insatisfaction alors que sa nuque se secouait lentement de gauche à droite, deux allers, un retour.

- Et ton maître, il ne t’as pas enseigné qu’il ne fallait pas parler aux inconnus, lui qui t’apprends des choses ? L’aisance avec laquelle elle avait rétorqué cela avait été quelque peu troublante pour l’homme. Il s’agissait d’une des bases de l’éducation, de se méfier des étrangers. Encore plus lorsque le petit être avait un visage aussi angélique.

Était-ce tout simplement légal d’avoir une petite qui appelait son aïeul « maître » ? Car ce terme faisait résonner un second dans l’arrière de son crâne qui était bien moins mignon et plus lourd de sens. L’esclavage n’était pourtant pas de mise sur cette île, pas à sa connaissance tout du moins. Mais on ne pouvait jamais être vraiment sûr du monde dans lequel on se trouvait, les marques claires encore présentes sur sa peau à diverses endroits prouvaient qu’il avait été ignorant par le passé et qu’il l’était encore probablement sur le présent de nombreuses choses.

- Ils sont chez eux je pense.

Très certainement même. Ou à comploter, il n’en avait aucune idée. À vrai dire, le métis avait perdu le contact avec eux et ce, depuis son enlèvement par l’Eglise Blanche. À son retour, il avait bien pensé à retourner les voir, mais toute cette politique, toutes leurs convictions qui avaient imposé à l’ancien adolescent d’agir sans son réel accord l’avait bien trop dégoûté en grandissant. Cette gueguerre de qui était légitime ou non d’avoir des pouvoirs… Dans toutes les solutions que l’évadé avait envisagé, la plus simple et plus sûre pour tout le monde avait été sa disparition totale. Parce que si cela s’apprenait, que Elix Cente était vivant, nul doute que ses bourreaux reviendraient pour terminer le travail afin que sa langue ne se délie pas.

- C’est ça. Je trouve que la vue est bien plus jolie que par terre. Sa tête s’inclinait de nouveau sur le côté, ayant fait apparaître un nouvel être ailé pour l’enfant, tandis qu’un second qu’il ne contrôlait pas partait voltiger dans les branches, s’élevant vers la lumière mais restant toujours proche de lui. Il a plutôt l’air de vouloir jouer avec toi, selon moi.

Tant que celle aux allures d’enfant restait sage, le papillon ne se déplaçait pas. Battant lentement de ses ailes violacées au tracé noir en restant sur cette épaule frêle. Puis il s’envolait pour se déposer sur la main de la petite, marchant sur le dos de celle-ci et montant ensuite sur ses doigts. L’adulte observait la scène sans qu’une expression particulière ne passe sur ses traits, même si le moment était particulièrement calme, lui ne pouvait pas se permettre de laisser retomber sa vigilance une seule seconde.

- Ton maître sait que tu es ici ? Ou quelqu’un d’autre ?

Étaient les questions que le brun aurait dû poser dès le départ. Lui ne serait pas friand de voir un grand gaillard débarquer pour le faire tomber de son arbre en secouant le tronc à la manière d’un grizzli en colère. Certes, faire croire qu’il était un enfant ou tout simplement absent de la scène ne serait pas une chose très compliquée, mais cela était à prendre en compte pour ses actions futures.

Juste s’amuser à jouer avec avec les papillons... Une pensée aussi mignonne qu’innocente. Face à elle, le métis en venait à se demander depuis quand il n’avait pas été confronté à une telle pureté. Bien longtemps. Trop longtemps, sûrement. Parce que si la petite avait tout de l’apparence d’une poupée, il aurait pu en être tout autrement une fois que celle-ci se mettrait à parler. L’erreur de se fier aux apparences comme dirait l’autre. Mais non. Elle correspondait parfaitement à l’image que l’on pouvait se faire d’elle. Jeune. Pleine d’espoirs face à ce monde qui avait pu décourager bon nombre de personnes suite aux combats qui pouvaient se mettre à faire rage et aux risques qu’encouraient certains habitants lorsqu’ils se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment. Alors voir ce petit visage clair s’abaisser à la manière d’un enfant qui se faisait réprimander provoquait quelque chose en lui. Pas de la pitié, mais le sentiment d’être un adulte qui faisait des leçons. Il était devenu comme ça, Elix ? Le temps avait donc placé des mots de parents entre ses lèvres ? Cette constatation avait quelque chose de navrant. La perte d’un idéal.

- C’est mal parce que justement, tu ne sais pas si je suis méchant ou non. Tu ne peux pas en avoir la certitude, car tu ne me connais pas. Je pourrais très bien être un monstre qui fait du mal aux enfants ou qui dénonce les petits qui désobéissent à leurs tuteurs.

Qu’il répondait avec l’assurance de ceux qui inculquaient des valeurs à leurs cadets, expliquant l’évidence même d’un apprentissage commun à tous les enfants. Les derniers mots étaient prononcés avec cette pointe de taquinerie alourdie par un regard perçant, le sous entendu l’amusant.
Mais ne fallait-il pas passer par cette étape ? Celle d’entamer la conversation avec un parfait étranger afin de rompre la glace pour savoir qui était bon de qui était mauvais ? S’il remontait de nombreuses années en amont, l’illusionniste se revoyait très bien, avec sa petite paire de lunettes sur le nez, tendre la main fièrement vers un parfait étranger pour devenir ami avec alors même qu’il ne savait rien de lui. Cette main tendue avait engendrée une amitié indéfectible, tout du moins, le temps qu’ils s’étaient fréquentés. Cela faisait soupirer celui à la chevelure qui tombait en cascade sur ses épaules. C’était donc ça, passer du côté « des grands », lui qui avait tellement hâte quand il avait à peine une dizaine d’années, ça ne le faisait plus rêver aujourd’hui. C’est toujours plus beau quand ce n’est pas nous… Qu’il pensait.

- Je ne sais pas trop. Je ne les vois pas beaucoup non plus. Sa main chassait l’air comme pour balayer le sujet de ses géniteurs, des questions qu’il ne voulait pas se poser. Que fait ton maître pour être aussi occupé ?

C’était en parfaite contradiction avec ses indications, que de répondre à l’adulte, pourtant celui-ci profitait de la jeunesse qui se situait plus bas pour lui extirper quelques informations. Tout était bon à prendre et s’il pouvait ne pas rentrer bredouille, cela serait à son avantage. Ses lèvres capturaient une énième fois la partie blanche s’assombrissant au fil des bouffées qui venaient s’écraser contre sa langue.

- Tu as déjà essayé de grimper aux arbres, au moins ? L’arrière de son crâne trouvait un appui sur l’écorce dure et son regard se mettait à balayer les alentours. Une inspiration, calme, une expiration, toxique. C’est très coloré. On y voit aussi bien le ciel que les bâtiments de la ville. On peut aussi voir les oiseaux dans leurs nids. Ça a quelque chose d’hors du temps, parce que personne ne prend le temps de s’arrêter pour contempler la vue. Les gens ne lèvent même pas la tête, en général. Ils passent tous à côté de cette beauté.

Contrairement à la petite chose qui l’avait fait sortir de sa bulle. L’agitation liée à l’insecte lui faisait rabaisser la tête. Le spectacle était tout bonnement adorable. Personne ne saurait dire le contraire et lui ne se faisait pas l’affront éhonté de le nier. Son attention suivait le petit doigt tendu vers un bâtiment parfaitement discernable, le lieu n’était pas si loin et il serait facile pour cette madame de retrouver la charmante demoiselle. La voix de celle-ci devrait les alerter avant même qu’elle ne gagne leur champ de vision.

- Interessant, je viendrais te voir si j’ai des vêtements à recoudre alors, je te demanderais d’en prendre soin spécifiquement.

Même si la dextérité d’une jeune enfant lui semblait loin de celle des professionnels que l’on pour trouver sur l’île. Au moins la petite créature pourrait s’en trouver flattée et parler un peu plus. Chacun son gain. Un éclat s’éveillait dans les iris jaunes, son buste se penchait quelques peu pour détailler plus cette petite fille sous un angle nouveau. Qu’est-ce qu’un enfant aussi pure pouvaient bien avoir comme capacité de dissimulé dans sa poche ?

- Bravo tu as trouvé. C’est à cause de moi s’ils sont là, ils aiment bien me tourner autour. Et quelle genre de magie tu sais faire, toi ? Ainsi, lui n’exprimait pas explicitement qu’il en était l’origine et non juste la cause.

Si c’était d’elle que le métis devait se méfier et non d’un quelconque adulte qui pourrait se présenter tout grognon ?

- Si tu me le dis, je t’aiderais à monter à l’arbre.

Un deal qui pourrait être intéressant pour la petite après tout, elle qui était visiblement intéressée par la vue qui s’offrait à son aîné. Il ne la voyait décemment pas refuser une telle offre.

Une innocence sans égale faisait face au natif qui n’avait plus l’habitude d’assister à de tels spectacles depuis bien longtemps. Un regard souligné par de longs cils sombres gardait toute son attention sur cette petite créature, frêle et délicate. Une enfant. Voilà tout ce qu’elle était. Doux souvenirs qui se dessinaient derrière ses globes oculaires, lointains échos de rires qui réveillaient ses songes. Pourquoi terrifier une telle pureté ? Sa tempe s’appuyait contre l’écorce, rugueuse, loin d’être un appui confortable, mais cela n’importunait pas l’homme qui n’avait que de pensées dirigées vers la poupée. Quand il se décollera, une marque se sera très certainement imprégnée sur sa peau…
La créature pourrait très bien continuer à la mettre en garde, il pourrait aussi lui dire qu’il n’était pas une âme fréquentable, que cela pouvait être dangereux pour elle, d’aborder ainsi des étrangers. Mais soudainement, avec autant de douceur que la caresse affectueuse d’une mère dans les cheveux, le métis décidait de ne plus se faire aussi moralisateur. Qui est-ce qu’il était pour ça, après tout ? À part l’homme qui attirait les papillons. Ses traits semblaient moins tirés, bien que ceux-ci ne se décrispaient pas d’un manque d’émotion apparent.

- Non, je ne suis pas méchant. Et ne t’en fais pas, ton maître ne saura rien de ta présence ici. Je compte sur toi pour garder notre conversation privée, aussi.

De toute façon, la blondinette n’avait aucune information sur lui. Rien de très intéressant. Un homme perché dans un arbre, des yeux dotés d’une couleur pour le moins particulière et des insectes ailés partout. Aussi inintéressant qu’absent de menaces pour le disparu présumé décédé. Du moins si la petite chose ne lisait pas en fait dans les pensées, qu’elle ne sondait pas tout le vécu de son homologue pour recracher ça à son fameux maître. Toujours sur ses gardes, le flot de ses pensées s’atténuait pour n’entendre que le bruit des feuillages qui dansaient au bout de leur branche. Le piaillement d’un oisillon sur le point de s’envoler. Le vent qui sifflait, rieur et volatile. Rien de tangible.

La jeune retrouvait un petit sourire sur ses lèvres. Passait-elle un bon moment en présence d’Elix qui pourtant n’avait rien d’avenant ? La subjectivité des enfants avait toujours ce petit côté désarçonnant qui le surprenait. Une bataille, un enfant qui pleure, un autre qui protège tout ce qu’il peut depuis ses maigres capacités. Jamais les mêmes réactions. Si celles-ci étaient liées au vécu, la jeunette présente ne devait pas en avoir énormément, pour faire aussi facilement confiance. Du moins c’était ce que le véritable cadet des deux pensait. Douce ignorance qui se laissait berner par une image.
Elix se laissait porter par les paroles de la petite. Cet instant résonnait comme une pause entre ses tempes, laissant son muscle contrôleur se reposer pour se laisser aller à plus de tendresse. Même si celle-ci ne lui apportait pas beaucoup d’informations et que cela risquait de lui laisser sur le dos un Reika insatisfait de son inefficacité. Un « merci petite » passait entre ses lèvres à l’évocation de ses talents de couturière. S’il cherchait plus en profondeur, l’adulte n’avait aucune idée de pourquoi il continuait cette conversation qui semblait complètement badine jusqu’à…

- Tout ce que tu veux ? Et c’est juste dans ta tête que ça apparait ?

L’animal aurait pu lui sauter dessus, pour l’entendre chanter ses capacités. Au lieu de ça, c’était une expression calme, qui ne semblait pas si attisée que cela par la nouvelle qui venait de lui être annoncée qui se formait. Ne pas l’effrayer. Un léger coup d’épaule contre le tronc pour quitter son appui, sans pour autant descendre de sa branche.

- Ça a l’air d’être un pouvoir très amusant pour jouer, tu peux avoir absolument tout ce que tu veux dans ta tête, des jouets et des amis aussi ?

Dubitatif, commençant déjà à élaborer quelques hypothèses, il se demandait… Jusqu’où pouvait-elle bien aller avec ça ? Parce qu’ainsi présenté, ça n’avait rien de très intéressant pour eux. Finalement, le perché descendait, une promesse avait été faite. Ainsi à terre, la différence de taille entre les deux âme s’accentuait et sa nuque lui tirait tant sa tête devait s’abaisser. Ses genoux se pliaient finalement, son visage plus bas que celui de la petite cette fois-ci.

- Grimpe sur mon dos, je vais te faire monter. Il faudra que tu t’accroches bien, d’accord ?

A la fin de ses indications, une rotation s’effectuait pour le présenter l’autre côté de son corps. D’une main, il décalait sur son épaule ses propres mèches afin qu’elles ne soient pas tirées violemment.

La petite hochait la tête, davantage rayonnante alors que le jeune homme la rassurait. Bon il n'était pas certain qu'elle sache réellement garder cette conversation pour elle car fondamentalement, Eleanor ne voyait pas le mal. D'ailleurs, elle ne savait pas mentir tout court. Il était clair même qu'elle vendrait la mèche, mais à défaut, la gamine ne savait véritablement rien sur son compte. Ses grands yeux de poupée poursuivaient de le happer dans son champ de vision, encore assez curieuse de garçon qui ne semblait pas encore vouloir descendre de son perchoir. Il était assez différent de son maître, qui passait le plus clair de son temps à la réprimander, à souffler même, dès lors qu'elle lui adressait la parole. Lui, lui accordait une conversation bien qu'il restait très mystérieux. Son intérêt se dirigeait davantage encore vers son pouvoir. Ses mains agrippaient le tissu de sa robe alors que son buste bougeait doucement de gauche à droite « Non pas exactement » Elle sentait un léger malaise parcourir son corps artificiel. Le Pontife avait bien réclamé qu'elle n'en parle pas, que cela pouvait s'avérer très dangereux pour elle mais aussi pour la communauté. Un tel fardeau sur les épaules d'une porcelaine qui avait à peine conscience des menaces qui rôdaient à chaque coin de rue autour d'elle, naïve et pure tel un nourrisson qui viendrait à peine d'apprendre à marcher. Un pari risqué que de placer autant de responsabilités en elle. Peut-être qu'à l'avenir, un sceau devrait être posé sur elle, juste par précaution. Il était étonnant même que le monarque n'y est pas pensé « J'ouvre un portail dimensionnel et ensuite, j'invite des gens à l'intérieur pour jouer avec moi » Le bout de ses index se touchait, s'exprimant tout bas, craignant que quelqu'un puisse l'entendre et la tirer par le bras subitement. Elle voulait seulement continuer à parler un peu. Son nez se redressait vers lui, devenant plus enthousiaste subitement « Oui ! Tout ce qui passe par la tête d'Eleanor ! Une fois, j'ai réussi à faire apparaître un éléphant » du moins, tout ce qu'elle avait déjà visualisé auparavant, elle ne pourrait pas faire apparaître ce qu'elle n'a jamais vu, simplement ce avec quoi son esprit pouvait clairement se formaliser, même si ce n'était qu'une simple photo. Parfois, elle faisait apparaître une copie de son maître simplement pour boire le thé avec lui. Le monsieur se décidait ensuite enfin à la rejoindre. Son sourire s'ensoleillait, baigné d'une lumière douce et adorable « Ne lâchez pas Eleanor ! Eleanor peut vite se casser » Elle ne mourrait pas, certes, mais la réparer était particulièrement complexe. Tel un chevalier servant, la promesse s'abaissait pour lui présenter son dos et l'inviter à grimper. Ni une ni deux, la poupée se faufilait et s'accrochait, entourant ses bras autour de sa nuque en riant « Vous êtes graaaand ! » en même temps, vue sa propre taille d'enfant, tout le monde l'était quasiment « Vous aimez faire quoi dans la vie monsieur ? Vous élevez des papillons? » la question sortait de nulle part, elle aimait toujours interroger les gens sur leurs activités sans penser, ironiquement, que cela pouvait se révéler plutôt délicat.

Codage par Libella sur Graphiorum

L’adulte était vil et continuait d’interroger le petit trésor sur ses capacités. La jeune créature innocente ne semblait pas avare en paroles, alors s’immisçant dans ces quelques brèches qu’elle lui offrait à la manière d’un reptile, l’espion la titillait juste assez pour continuer de la faire chanter. Peut-être bien que cette enfant était plus intéressante que sa conversation qui connotait sur l’âge qu’elle présentait. Tout en subtilité néanmoins, le métis la charmait par des paroles qui pouvaient pousser à de la confiance. Non, son maître ne serait pas heureux d’apprendre ce qu’il se passait en cet instant et bien plus inquiet en découvrant où allaient terminer toutes ces jolies informations. Un tel bijou, ça se gardait à l’abris, en voilà un qui aurait dû se méfier. La totalité du pouvoir tombait. Une esquisse passait sur les lèvres fines alors qu’il se faisait impressionné par autant de potentiel. En soit, il pouvait l’être. Une telle capacité semblait hors norme et il était certain qu’entre de mauvaises mains, ce petit sourire innocent ferait de gros dégâts.

- C’est un pouvoir incroyable que tu as là dis donc. Les réactions physiques montraient tout de même bien qu’une mise en garde avait été prononcé aux oreilles de l’enfant. Des traits doux répondaient à cette tension qui grandissait en contrebas. Je ne dirais rien à personne. Cela restera notre petit secret.

Un clin d’œil charmeur. Vilain menteur qu’était le serpent. La joie revenait, aussi soudainement qu’elle avait commencé à s’amoindrir. Désormais Elix avait des informations capitales et se rendait compte qu’il était bel et bien tomber sur une arme de guerre. Rien de moins. Difficile de ne pas ricaner face à une telle satisfaction. Sa mission du jour se voyait remplie mieux que jamais.

- Je ne te lâcherais pas. Mais accroche toi fort.

Casser ? Le langage employé interloquait de plus en plus l’adulte. Il relevait les pans de sa cape pour créer une écharpe de portage, faisant monter le bas du tissu jusqu’au milieu du dos de la demoiselle puis attachant chaque extrémité fermement sur son torse. Là, elle ne devrait pas bouger. Une pensée passait. Il pourrait rentrer chez lui avec elle ainsi positionnée… Non. Probablement qu’elle serait recherchée. Cela faisait déjà sûrement trop longtemps qu’elle se trouvait hors de la portée de sa nourrisse. Sans plus attendre, les mains dénudées se saisissaient d’une branche et son ascension démarrait, elle était légère l’enfant, étonnamment sans chaleur aussi. Ça devenait de plus en plus sceptique sous les mèches sombres.

- On peut dire ça. J’aime me promener et grimper aux arbres aussi.

Prudemment et vérifiant plusieurs fois le noeud, il finissait par arriver sur la branche solide qui l’hébergeait plus tôt. Avec précaution, il détachait la jeunette et la déposait prêt du tronc.

- Accroche toi bien.

L’indication était donnée avec une certaine fermeté, mais pour éviter trop de risque à la petite, il venait retirer pleinement sa cape afin d’en faire une ceinture de sécurité qu’il accrochait au tronc. Elle pourrait se mettre à gigoter. Il passait ses longs doigts dans les cheveux clairs qui contrastaient avec sa propre couleur.

- Maintenant tu peux regarder la ville, les gens ne te verront pas ici. Ne fait pas trop de bruit et ne gigote pas, sinon tu devras descendre.

C’est qu’elle était mignonne la toute petite. Ce n’était pas désagréable de passer du temps en sa compagnie, de par son innocence, elle octroyait une pause à celui qui ne l’était désormais plus.

- Tu emmènes souvent des amis dans ta tête ?

Un secret ? Eleanor était-elle même capable d'en garder un ? Elle comprenait bien ce qu'il voulait dire par là, le sens exact de ce mot -ce qui ne doit pas être dit. Une confidence. Mais la petite n'en voyait pas réellement l'intérêt et n'en mesurait encore moins la portée. Pourtant, elle hochait la tête bien docilement, comme elle en avait l'habitude, en guise de compréhension. Une compréhension qui se diluerait sûrement avec le temps au point d'oublier subitement le contrat passé avec cet inconnu. Mais une chose était certaine : elle n'en parlerait certainement pas à son maître sous peine de le décevoir. Pourquoi agir de cette manière alors si la crainte de se voir sermonnée était bien présente ? La poupée était comme tous ces gamins naïfs qui cherchaient le contact pour apprendre à créer ses repères dans ce monde si vaste et toujours en mouvement. Une enfant, d'une centaine d'années pourtant, qui n'avait connu que l'enfermement dans le salon sombre de son créateur originel et qui se laissait dévorer par la curiosité en posant les yeux et les mains un peu partout. Une naïveté sans égale qui un jour, lui jouerait sûrement un mauvais tour sans même qu'elle puisse en avoir totalement conscience. Et cet homme le savait et en abusait, à petite dose certes, mais ses bonnes intentions étaient travesties par un motif moins noble. Qu'importe le soin qu'il mettait à la percher sur son dos gentiment pour éviter de la fracasser -il la manipulait « Vous vous promenez ? » interrogeait-elle dans son oreille.

Eleanor obéissait cependant, s'accrochant de toute la petite force dont elle était capable. Son corps de porcelaine était fragile -lâche- et ses bras ne risquaient clairement pas d'étouffer le jeune homme qui la soutenait. Pourtant, malgré sa convoitise peu honnête pour cette demoiselle étrange, il ne lésinait pas sur l'attention en l'attachant, la sanglant fermement pour éviter une chute fatidique. La gamine poussait un petit cri de surprise alors qu'ils montaient tous les deux pour que sa frimousse puisse toucher le ciel. Sa nuque pivotait vers le feuillage doré qu'elle touchait du bout des doigts sur un sourire émerveillé « Ca sent bon ! » une odeur fraîche d'humidité ensoleillée. Si son sens du toucher était totalement absent -elle ne sentait ni le froid ni le chaud mais il lui restait tout de même l'odorat, le goût, la vue et l'ouïe. Néanmoins, elle était incapable de ressentir la sensation d'une boule de neige dans sa main, d'une brûlure sur sa peau ni même la douceur d'une plume. Même la chaleur du corps de son nouvel ami ne l'inondait pas. Son enveloppe charnelle, confectionnée d'une tendre porcelaine, était également dure, ne la rendant pas spécialement souple ni habile. Encore un point sur lequel il fallait veiller. Une cape ornait donc son buste, attachée fermement au tronc de l'arbre comme un dispositif de sécurité au système D. Cela ne semblait pas inquiéter la petite qui se laissait doucement faire sur un sourire reconnaissant « Merci ! » Ses doigts glissaient dans sa longue chevelure blonde, lui intimant d'observer un peu autour d'elle. Elle s'exécutait, tentant de se mettre debout en équilibre pour finalement se raviser et se rasseoir. Trop dangereux. Ses petites mains écartaient donc les branches alors que sa voix poussait un « Woooaw ! » sublimé. Pour la discrétion, on repassera plus tard « Tout paraît petit d'ici ! Comme si les maisons avaient la taille d'une fourmi ! » ses doigts s'écartaient tandis qu'elle fermait un œil, comme si elle cherchait à écraser de sa pulpe les dites habitations au loin avant de pivoter vers l'aventurier, pour lui montrer l'espace vide d'un centimètre entre son pouce et son index « Regardez ! Toute petite » un rire franc se prononçait dans sa gorge visiblement très amusée par la situation. Mais l'expérience prenait un autre virage et à nouveau, elle tortillait ses doigts « Euh... Maître dit à Eleanor qu'elle ne peut pas inviter des personnes dans son monde comme elle le veut » Mine un peu triste « Eleanor ouvre surtout son imaginaire pour protéger les citoyens d'Azuola de personnes dangereuses ! C'est le maître qui l'a dit » sa tête penchait sur le côté, un peu pensive « Alors Eleanor obéit. Eleanor veut que tout le monde soit en sécurité et préserver la ville des méchants » ponctuait-il sur une expression déterminée même si elle était loin de saisir véritablement tous les tenants et aboutissants de cette démarche. Elle n'avait clairement pas non plus conscience des informations primordiales qu'elle était en train de lui livrer. Puis un rayon de soleil passait rapidement sur son visage voyant là une opportunité à ne pas manquer « Vous voulez être l'invité d'Eleanor, dites ? »

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L’adulte vérifiait une dernière fois que son système de sécurité tenait bien puis apposait un regard calme sur la petite créature. Ses gestes étaient délicats et sensiblement teintés d’une dextérité enfantine. Nul doute, Elix était tombé dans le panneau de la petite fille, jamais il ne serait capable d’imaginer que celle-ci était plus vieille que lui d’environ 80 ans. A ses yeux, il se trouvait simplement en présence d’une petite poupée frêle et délicate, rieuse et prête à découvrir chaque secret que lui présenterait la vie. Quel dommage que la petite fille n’ai pas été protégée des êtres tels que lui. Parce qu’en cet instant, le noble chevalier servant qui lui faisait découvrir les hauteurs avait des intentions bien moins altruistes derrière ses actions. Qu’il était mauvais celui qui appartenait à l’étoile rouge. Pourtant fondamentalement, ce n’était pas un mauvais bougre. La faim justifiait les moyens pour vivre dans ce monde qui avait mordu sa peau avec violence par le passé.

- Oui. Avec les hauteurs tout semble bien plus petit.

Sa nuque s’inclinait sur le côté alors que son regard ne la lâchait pas. Sa joue frôlait sa propre épaule. Depuis combien de temps ne s’était-il pas extasié sur quelque chose d’aussi simple ? Peut-être qu’il était une version différente de ceux qui ne levaient plus la tête. Certes il observait, mais peut-être ne prenait-il plus le temps d’admirer, de se délecter de la beauté du monde en faisant une petite pause. Voilà que la blondinette arrivait à plonger l’adulte dans quelques réflexions profondes alors même qu’elle profitait de tout ce qui échappait aux grands. Les nouvelles informations faisaient plisser les yeux étincelants d’Elix, dubitatif par rapport à ses mots.

- Dis moi, Eleanor… Tu as beaucoup de personnes dans ta tête ?

Ses questions se formulaient toujours en étant accompagnés d’un sourire et d’une voix qui se voulait rassurante. Ne pas la faire fuir. C’était une question importante, si ça se trouve, elle avait même des personnes qu’il connaissait derrière ces grands yeux violets. Voilà qui était de plus en plus intéressant pour lui. Il est clair que Reika ne serait pas avare de cette découverte. La surprise revenait à la question, l’adulte tendait la main pour venir caresser cette petite tête blonde, un piège ? Peut-être pas. Lui aurait pu de nombreuses fois la piéger, lui faire du mal. Ou était-ce pour l’amadouer ? Bien que son expression n’en montrait rien, une armada de questions venait de se glisser dans les tempes du natif de l’île.

- Pourquoi pas. A la condition que tu ne m’oublies pas dans ta tête, je serais triste si tu ne m’en ressors pas et en plus, je ne pourrais pas t’aider à descendre de l’arbre.

Voilà. La ramener un peu à la réalité, lui faire comprendre qu’en cet instant, elle avait besoin de lui pour se déplacer. Cela lui semblait important, parce que cette petite frimousse avait beau être adorable, la naïveté bordait son caractère. Peut-être avait-elle aussi un trait de tête en l’air, ce qui n’étonnerait guerre le vil être des deux. Mais curieusement, il avait envie de voir tout ce qu’elle était capable de faire afin de pouvoir rapporter le plus d’informations possible à son supérieur. Face à lui, se trouvait une petite perle rare, une cage dorée qui ne serait soupçonné que par très peu de personnes. Si tel était le cas, ils avaient des personnes de hautes compétences et bien plus dangereuse qu’il ne se l’était imaginé.

La petite fleur délicate semblait perturbée par le discours employé par l’adulte. Là, Elix comprenait toute la complexité d’un pouvoir aussi important dans une si petite créature. Il fallait à chaque instant employer les bons termes, s’assurer que les choses soient comprises d’une manière adéquate et non interprétées. Mais l’enveloppe qui dissimulait un tel pouvoir avait des avantages pour le malin qui déjà, se voyait rejoindre Reika ce soir pour lui annoncer sa petite trouvaille. Un plan se dessinait aussi pour la récupérer à leurs côtés, jouer sur le côté familial, l’attachement à l’autre, lui donner de l’importance… Un kidnapping aussi ? Elle serait très certainement moins coopérative de cette manière, voire pas du tout et même effrayant. C’était une enfant, il fallait jouer sur ce plan sans jamais l’oublier. Oui, il devait la récupérer et ne pouvait décemment laisser une telle personne à l’église, vu les choses cruelles qu’ils pourraient en tirer alors qu’en regardant son visage, Elix comprenait bien que tout ce qu’elle voulait, s’arrêtait aux attentes d’une petite fille. Si quelque part l’adulte peut avoir ses propres opinions et valeurs, quand cela concernait ses bourreaux, celles-ci devenaient tranchantes et ne laissait place à rien. Du moins… Presque rien.

- Promis...

Néanmoins, face à autant de nouveauté et de naïveté, le métis n’était pas sûr de prendre une décision très réfléchie. Le froncement de ses sourcils dénonçait bien cette légère appréhension. Personne ne savait où il était à l’heure actuelle et si une fois dans cette jolie tête blonde celle-ci retournait à ses occupations… Il serait tout simplement fichu. Perdu à jamais pour une curiosité stupide. Qui était celui qui piégeait l’autre ? Il était incapable de perdre cette réflexion qui lui faisait dire qu’elle savait exactement qui il était. Qu’en un instant, ses bourreaux allaient débarquer pour le ramener vingt ans en arrière à lui faire revivre les mêmes souffrances. Il se souvenait encore de la douleur et de ses propres hurlements. Mais trop tard pour continuer de se bourrer le crâne de ces idées, qu’un portail apparaissait, grandissant peu à peu sans sembler alarmer le monde environnant. Les yeux ambrés s’écarquillaient sous un tel spectacle, le réflexe humain le faisait reculer pour fuir quand celui-ci fonçait sur eux pour les avaler, ses bras se levant pour couvrir son visage alors qu’il fermait de toutes ses forces les yeux. La chute. Un cri qui émanait de ses cordes vocales. L’impact incroyable mou contre son dos. Le cœur au bord des lèvres, celui appartenant à l’étoile rouge sentait son estomac se contracter douloureusement alors qu’il portait une main à ses lèvres pour retenir ce haut le cœur. Peut-être était-il devenu un peu plus pâle suite à ce voyage initiatique. Une déglutition douloureuse tentait de faire passer cette envie de dégobiller le maigre contenu de son estomac, heureusement qu’il ne venait pas de manger, il n’aurait rien pu retenir. Complètement affalé sur la guimauve, il levait les yeux vers les airs pour découvrir le monde de la poupée. Un monde enfantin. Cela le confortait dans son opinion sur elle, même s’il pouvait s’agir d’une supercherie. Les mouvements attiraient son attention et une esquisse se dessinait sur ses lèvres en la voyant sauter aussi joyeusement. Difficilement à cause de la matière qu’il ne maîtrisait pas, il passait de allongé à assit en tailleur.

- C’est… Incroyable.

Vraiment. L’adulte était ébahit d’un tel spectacle. Il ne perdait pas le fil de ce qu’elle racontait, continuant d’analyser le tout. Son regard se posait sur la porte sombre qui contrastait avec l’environnement rose bonbon. Alors c’était là ? Plus ça allait, moins il doutait d’Eleanor. Elle se montrait telle qu’elle était et entrer ici était littéralement pénétrer son intimité.

- Tu fais quoi le plus souvent quand tu es ici ?

Son bras se tendait vers une peluche qui flottait pour la faire descendre à leur hauteur. Un sourire passait sur ses lèvres, c’était l’endroit parfait pour jouer avec des amis. Reposant le doudou, il venait passer sa main dans les boucles blondes pour les caresser. Elle était à croquer.

- Dis moi, c’est quoi cette porte ? Tu n’as pas l’air de l’aimer si j’en crois la couleur.

Prendre des informations. Retenir le tout. Et en même temps, c’était une petite inquiétude qui semblait piquer sa voix. Il ne devait pas se laisser aller à avoir pitié d’elle. C’était une enfant mais une arme. Sauf que les enfances détruites étaient en quelque sorte la faille de Cente. Ou l’une des nombreuses qu’il colmatait avec cet air impassible et son objectif. Mais quand il s’arrêtait, il n’était pas un vilain bougre.

La jeune fille patientait que l'individu ne reprenne quelque peu ses esprits. Elle le savait, le premier voyage était toujours compliqué. Mais le monsieur avait l'air de savoir retenir son estomac de pleurer. Il s'affalait ensuite pour se coucher sur le lit tout doux et tendre. Ses grands yeux s'ouvraient sur lui pour le regarder tout en sautillant. Il semblait content. N'est-ce pas ? En tout cas, l'homme ne retenait pas sa surprise, ce qui fit rire gentiment la poupée « Oui ! Eleanor adore cet endroit ! C'est sa petite bulle rien qu'à elle ! » Puis elle venait à lui pour s'asseoir à ses côtés telle une petite fleur délicate. A sa question, la petite se mit à réfléchir à toutes les activités qu'elle faisait ici. Il y en avait tant qu'elle n'était pas capable de toutes les raconter. Mais ce contact sur ses cheveux blonds l'encourageaient à en dire un peu plus « Hm... Ce qu'Eleanor préfère faire, c'est boire le thé avec madame Nounours » Puis soudainement, une forme d'abord incertaine se découpait en face de ces deux-là, pour laisser apparaître une femme pelucheuse, ornée d'un tablier, qui portait un plateau entre ses pattes « Bonjour Eleanor. As-tu été sage aujourd'hui ? » « Madame Nounours ! » s'exclamait-elle en bondissant hors de la guimauve pour aller lui chercher une étreinte affectueuse « Regarde. J'ai un invité » Son regard se penchait vers Elix sur un grand sourire. Les oreilles de l'illusion, une illusion parfaite qui interagissait impeccablement dans cet univers au point de pouvoir toucher la matière, se mettaient à bouger dans sa direction. La personnalité de ses apparitions était dessinée par la petite. Il ne pouvait donc concrètement rien lui arriver ni même à ses hôtes -tant qu'elle contrôlait son environnement « Enchanté, invité d'Eleanor. Voulez-vous quelque chose à boire ? » Son buste s'avançait pour lui proposer de quoi se sustenter. Bien que le plateau soit vide, une myriade de sucreries et de possibilités de boissons surgissaient tout à coup. La porcelaine se mit à applaudir « Wouaw ! » à petit trot galopant, elle s'avançait de nouveau vers le voyageur de sa dimension parallèle. Néanmoins, alors qu'il marquait un détail important dans cet univers aux couleurs pastels, sa mine s'assombrissait, un peu incertaine « Non Eleanor ne l'aime pas. Elle la déteste même » C'était d'ailleurs sa seule contrainte, imposée par le Pontife. Elle ne devait surtout pas communiquer avec les êtres qui se trouvaient derrière, juste les tenir enfermés « Parfois, ils poussent des hurlements terrifiants. Mais Eleanor n'a pas le droit de leur apporter une part de gâteau. C'est interdit. Eleanor doit garder la porte fermée sinon, les méchants vont sortir »

La demoiselle poussait un petit soupir « Des fois, ils essaient d'avoir Eleanor. Ils lui promettent des choses pour s'échapper » Ses bras se serraient autour d'elle, prise d'un léger tremblement « Ils cognent fort derrière. Mais Eleanor ne veut pas laisser des méchants dans Azuola » L'Eglise Blanche possédait déjà sa propre prison hautement sécurisée. Mais les éléments qui se trouvaient derrière, méritaient sûrement un sort plus monstrueux apparemment « Jeune homme » appelait la femme ours en fronçant ses sourcils épais « Ne l'importunez pas. Vous voyez bien que cela la déstabilise » Une autre facette se déclenchait de la part de cette manifestation, plus profonde. Si la poupée n'en avait pas conscience, ses émotions enfouies affectaient aussi ses créations. Et là, il s'avérait qu'elle éprouvait le sentiment de se sentir en sécurité, ce que Madame Nounours comprenait d'emblée, instinctivement, et se prononçait comme une protection qui n'était que le fruit de son besoin actuel.

Codage par Libella sur Graphiorum