Histoire
N'y avait-il donc rien de plus pathétique que son passé larmoyant, de celui qui fait renifler et sortir le mouchoir tout en plaignant le triste sort de cette gamine ? Helga n'était qu'une victime collatérale du cycle éternel de la vie et de la misère des gens. Ni plus, ni moins. Une enfant âgée de huit ans seulement, planquée dans ce placard étriqué dans lequel elle se recroquevillait pour se faire la plus discrète possible. Sa respiration était lente et douloureuse mais son cœur battait dans sa poitrine au point d'en être assourdissant. Le temps, suspendu comme un nuage de coton dans le ciel, lui semblait interminable. Et puis, il y avait ces hurlements dans le salon. Là. En bas. Si seulement cela avait pu en rester là, encore aurait-elle eu de la chance. Lorsque le silence s'immisça dans la grande demeure des Adwing, juchée dans l'un des meilleurs quartiers de New-York au dernier étage qui en prenait toute la surface, la gamine traîna ses pieds sur le sol gelé en rétractant ses orteils comme si chaque pas lui piquait les talons. Sa peluche, Turby, lui tenait la patte comme pour l'encourager à avancer vers cette pièce lugubre où seule la télévision tournait sur un programme puéril. Son petit corps chétif et frêle tremblait de tous ses os. Le souffle lourd, elle serra très fort Turby dans ses bras au moment où ses prunelles grises tombèrent sur le regard vitreux de celui de ses parents. Inerte. Vide. Et pourtant, pas un son ne se mit à sortir de sa bouche même si l'espace d'un court instant, elle avait cru sentir la langue visqueuse de la mort sur sa nuque.
Une nouvelle mort, une nouvelle vie de ce qu'on en disait. Pourtant quelque part, un bout de son âme était resté dans la tombe avec ses parents aimants. Les jours suivants, Helga se retrouva confiée à son oncle John, avec ses deux frères Nigel et Georges. Il n'avait rien de spécial, si ce n'était qu'il faisait bien la cuisine et qu'il adorait les jeux de société.
« C'est toujours mieux que l'orphelinat » leur disait-il. Oncle John travaillait au service de la police et avait été le premier à arriver sur la scène du crime lorsqu'il avait appris pour sa sœur. Pourtant, il n'habitait pas la porte à côté et la demoiselle n'en avait jamais réellement entendu parler. Mais si son nom figurait sur le papier, alors il devait être digne de confiance. Sa mère était une femme très prévenante, elle n'aurait jamais confié ses enfants à n'importe qui. Néanmoins, l'homme aux cheveux déjà grisonnants n'était pas souvent présent. Les journées se rythmaient ainsi d'une routine à faire bailler les anges. Mais dans cette continuité certes ennuyeuse, Helga avait su y trouver son rythme et son équilibre. Elle avait très vite fini par se responsabiliser que ce soit pour faire le ménage, les courses, les devoirs... Par contre, la demoiselle cuisinait très mal, ce qui faisait souvent grimacer ses frères. Elle était plutôt bonne élève que ce soit dans les matières élémentaires ou dans le sport. Le seul petit bémol restait qu'elle avait bien du mal à se lier d'amitié avec ses camarades de classe. Une sorte de manteau lugubre semblait l'envelopper comme pour dissuader tout rayon de soleil de s'y infiltrer et son apparence peu avenante suffisait à faire baisser les yeux. Pourtant, c'était une gentille fille qui aurait bien aimé se faire un ou deux amis, elle n'avait pas besoin de bien plus. La solitude, malgré tout, se révélait assez pesante. Heureusement, elle pouvait encore compter sur ses frères. C'étaient bien les seuls avec qui elle se trouvait très démonstrative. Elle les adorait, vraiment. Helga les voyait un peu comme ses supers-héros. Nigel, l'aîné suivait des études aspirant à devenir avocat et Georges, le petit dernier, était décidé à être médecin. Chacun d'eux était promis à un avenir brillant et éprouvait une affection sans failles pour leur soeur en se révélant très protecteur, un peu trop parfois.
Puis un soir, à l'aube de ses quatorze, une nouvelle fracassante vint fracturer ce doux quotidien. Son oncle avait fini par lui annoncer que le meurtrier de ses parents n'avait pas été retenu, faute de preuves. Une vague de colère répugnante rugit alors dans ses entrailles à tel point que sa fureur transpirait à travers tous les pores de sa peau. Il était hors de question qu'elle en reste là.
Si avec les années passées, Helga avait gagné en maturité, elle avait aussi construit son caractère trempé et borné. Son oncle avait finalement baissé les bras face à sa détermination d'entrer dans les forces de police d'Atlanta. Après un parcours acharné pour nourrir ses prétentions, la jeune femme était parvenue à se faire une place. Toutefois, les motivations de notre lieutenant ne se limitaient pas qu'à boucler des brigands de bas étages, d'arrêter les petites crasses qui vendaient de la drogue dans la rue ou d'intervenir pour des stupides histoires de voisinage parce qu'ils mettent la musique trop forte. Non. Son objectif était de faire pourrir l'horreur qui avait frappé sa famille et de le mener tout droit en enfer. Et ce qui faisait la différence entre Helga et les autres pour mener sa quête, c'était son instinct aiguisé, ses capacités analytiques coupantes et aussi, un peu, son goût pour l'adrénaline. Elle n'avait pas froid aux yeux. Ses collègues l'appréciaient bien que travailler en équipe n'était pas son fort. Il lui arrivait de prendre seule des initiatives sans consulter personne et bien souvent malgré ses résultats pertinents, elle se faisait réprimander. Helga n'en avait cure et finissait toujours par quitter le bureau, les mains dans les poches. Mais d'après son chef, cela restait un élément prometteur,
« même pour une donzelle de vingt-huit balais ! » comme il disait. Néanmoins, elle commençait à en avoir assez de se voir limitée dans son potentiel et ses ambitions. Si elle pouvait compter sur son équipe, beaucoup déplorait son autorité chirurgicale, son attitude frisant parfois l'inconscience. Alors elle finit par ouvrir son propre cabinet tout en poursuivant de collaborer étroitement sur des enquêtes plus sérieuses avec la police grâce au contact d'Oncle John. Même s'il n'en disait rien, il la voyait. Il voyait Helga déployer ses propres ailes et pour cela, il en était très admiratif. Elle serait véritablement quelqu'un de redoutable.
Les affaires, évidemment, ne fonctionnaient pas vraiment au début. Elle devait se coltiner des enquêtes sans intérêts, souvent accès sur des adultères, mais cela s'avérait nécessaire pour faire sa réputation. Nigel l'encourageait énormément pour ses débuts et l'aidait également dans ses démarches. Au moins, elle avait aussi un droit d'accès officieux aux dossiers de la police sur lesquels elle accompagnait son oncle même durant ses missions. C'était déjà plus pimenté. Mais elle n'en oubliait pas moins son objectif où elle travaillait à s'en manger des insomnies. Elle qui aimait tant dormir. Ce fut à ses vingt-huit ans qu'elle rencontra d'ailleurs son succès. Une traque infernale avait eu lieu ces dernières années, toujours creusée dans l'ombre pour éviter les soupçons. Elle avait préparé le terrain au fur et à mesure pour que l'étau se referme et que l'agneau se tranche lui-même la tête. Les preuves irréfutables, elle les avait crées. De toutes pièces. Son pire mensonge mais sa plus grande victoire tout à la fois. Jimmy Rolland avait fini sous les verrous et du haut de son siège, Helga l'avait regardé se décomposer dans un sourire mutin. Le trio fraternel avait d'ailleurs contribué à son enfermement, chacun à sa manière. Nigel avait décidé avec elle d'enfoncer le clou auprès du procureur. Quant à Georges, il avait également mis ses mains à l’œuvre pour aider Helga à composer les preuves. Tous les trois, portaient du sang sur les mains, mais il ne s'agissait que d'une justice bien méritée.
Sa réputation gagna donc des points. Des points volés peut-être, mais cela n'entravait en rien ses réelles compétences. Chaque tâche était accomplie, justement, même si les requêtes manquaient vraiment d'haleine. Son oncle commençait à se faire vieux. Proche de la retraite, il décida alors de lever le cap vers la Nouvelle-Zélande
« dans un coin tranquille où personne me fera chier ! » qu'il disait. La jeune femme se retrouva de nouveau seule même si ses repères étaient inscrits à Atlanta, elle stagnait dans la solitude. Et si la jeune femme connaissait quelques rencontres charnelles, elles ne duraient qu'une seule nuit généralement. Elle avait bien essayé une fois. Mais l'amour, ah, cela ne l'avait pas trop réussi. C'était comme faire le ménage, la même sensation, c'était trop d'entretien. Puis, elle avait toujours eu des difficultés à creuser des relations. Pas qu'elle ne le voulait pas vraiment mais elle n'y arrivait pas. On lui avait bien proposé un psychologue mais ces gens-là, qui rentraient dans votre tête, c'était très peu pour elle. Et puis, pour quoi faire d'ailleurs ? Était-ce si intolérable aux yeux d'une société qu'une femme sans attache ? En tout cas, elle était à peu près certaine que cela dérangeait forcément un peu.
Puis un jour, en phase de réveil suite à une longue nuit digne d'une marmotte, le téléphone sonna. Un grognement sortit de sa bouche, ennuyée de voir que son oncle essayait de la joindre depuis déjà trois heures. Bah, elle n'avait rien entendu. Elle décrocha. Lui demanda de se calmer. Il ne faisait que crier et pleurer en même temps. Et dans une dernière tonalité, tordu par la terreur, il hurla « ils existent ! Ils existent ! Ils existent ! Et on va mourir » puis le silence. Alors elle fit ses valises à la hâte et se rendit là-bas, en Nouvelle-Zélande début d'année 2019.
Mais le sort s'acharna encore une fois à son arrivée. Sur son lit d'hôpital, elle lui serra la main si fort qu'une trace blanche apparut. Helga ne croyait pas en dieu, pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de prier. Il était vieux peut-être mais ce n'était pas l'heure. Pas encore. Il n'allait pas l'abandonner tout de même. « Ecoute moi, tu dois enquêter. Des choses étranges se passent ici et... » Mais la fièvre frappa et la mort le gagna dans un dernier soupir laissant une nouvelle fois, une Helga silencieusement triste et souffrance de ce virus qu'était la douleur. Pourtant, elle y avait déjà goûté. Ce poison là, elle ne s'y habituerait pas. Mais ses paroles l'intriguèrent. Par la suite, elle remplissait donc les modalités et s'en alla, la mort sur le cœur, pour se rendre à son appartement. Là, elle aperçut soudainement tout un mur tapissé de feuilles, de coups de crayon, de punaises et de cercles.
Alors c'était donc ça. Que s'était-il passé, ici ? Elle en eut une brève idée seulement deux semaines après quand cette épidémie monstrueuse la frappa à son tour alors qu'elle tentait de comprendre la panique ambiante. Une fièvre à coucher un cheval. Des bourdonnements intenses dans les oreilles comme des milliers d'abeilles. Perte de goût. D'odorat. Elle avait même la sensation de voir flou. Mais elle n'était pas la seule. D'autres... Enfin que dis-je des milliers d'autres individus furent touchés par cette contagion comme un serment divin qui s'abattait sur le monde entier. Helga fut couchée pour une très longue période. Deux mois. Son cerveau l'avait inscrit dans une sorte de coma comme pour la préserver du monde extérieur et ralentir son métabolisme comme s'il savait instinctivement quoi faire pour sa survie. L'esprit, cette merveille de la nature. Toutefois, quand elle rouvrit les yeux, c'était comme si elle avait fait un bond dans le temps. Méconnaissable. Une partie de la population mondiale avait été dévorée par le virus. C'était incroyablement épatant et terrifiant à la fois. Elle s'était rattrapée en scrutant en détails les actualités et s'était penchée sur les recherches de son oncle pour qui le châtiment divin ne tenait pas, qu'il s'agissait plutôt d'une attaque biologique menée par des extrémistes de l'environnement. Mais que penser ? Quelle étrangeté les avait assommés ? Son premier réflexe avait été de joindre ses frères. Elle avait peur, peur que des proches ne lui filent encore entre les doigts. Mais par chance, ils étaient encore aux Etats-Unis et bien vivants. Ils lui avaient rendu visite quelques fois mais bien évidemment, elle n'avait pas pu s'en rendre compte dans son sommeil. La trentenaire fut soulagée. Au moins eux, ils allaient bien.
Dans tous les cas, Helga était décidée à avoir le fin mot de l'histoire. Pour ce faire, elle décida alors de rattacher ses services à la police locale même si les néo-zélandais n'étaient clairement pas adeptes des méthodes américaines. Mais plus important encore, ce dont la jeune femme n'avait pas totalement conscience, c'était qu'il y avait de ces choses qu'il valait mieux laisser sous le tapis. Mais elle était butée comme un âne, alors chaque élément à sa disposition, elle en faisait part à ses frères pour qu'ils puissent l'aider dans son enquête. Ni l'un ni l'autre, ne parvenait à élucider l'étendue de la situation. Ce ne fut que ce jour étrange, où un meurtre se profila dans sa petite ville de Nouvelle-Zélande, qu'elle put enfin tenir une piste solide. Le corps d'un adolescent avait été retrouvé et les analyses des prélèvements indiquaient... des résultats étranges. Des résultats non humains. Un véritable choc, à peine croyable. Alors elle avait fait le tour de ses connaissances pour tomber finalement sur cet homme : Stanislas Kozlowski. Si au début ce bonhomme bizarre avait cherché à la mener en bateau, ils avaient cristallisés une coopération sur un commun accord. Mais ce type en savait bien plus que ce qu'il laissait prétendre. Comment pouvait-il savoir que des forces surnaturelles régnaient en ce monde ? Helga restait vigilante et méfiante vis à vis de lui, même s'il était enclin à contribuer à son enquête tout en lui donnant des informations précieuses. Puis un jour, il disparut soudainement. Elle avait bien essayé de le retrouver mais sans succès. Frustrée, elle décidait de rentrer à New-York pour retrouver ses frères et remettre de l'ordre dans ses idées. Elle était devenue si obsessionnelle ces derniers temps qu'elle ne savait même plus comment réfléchir. Alors elle prit le premier vol en annonçant son arrivée à sa clique fraternelle qui accueillait la nouvelle avec beaucoup d'enthousiasme à l'idée de la revoir. Mais l'excursion ne se passa pas comme prévue.
L'avion fut pris dans une tempête qui secoua tout l'appareil et son équipage. Des violentes secousses prirent d'assaut le véhicule et les gens se mirent à hurler, perdant complètement leur sang froid malgré les hôtesses pour les rassurer. Helga quant à elle, serrait les dents en priant pour qu'ils s'en sortent vivants. La situation était affreuse et le pilote même se présenta quelques minutes plus tard, pâle comme un linge. Impossible pour lui de maîtriser l'oiseau d'acier qui se trouvait piégé dans les turbulences. Puis soudainement, la foudre frappa l'aile droite de l'engin, ce qui fit frissonner la détective d'effroi. Non non... Ce n'était pas possible. Puis le bolide piqua du nez dangereusement, attiré par le bas. Tout tremblait à l'intérieur et tout le monde s'agitait, en proie à une panique totale. La mort pointait le bout de sa main. Le seul réflexe qu'elle eut, était seulement de fermer les yeux très fort comme pour anticiper cette fin irrévocable. Puis. L'avion s'écrasa.
Le silence. Un silence de plomb. Helga ouvrit un oeil, incertaine. Autour d'elle, il n'y avait personne. Pas de gens. Pas d'avion enflammé. Pas d'eau. La terre ferme. Elle se mit à soupirer de soulagement jusqu'à ce qu'elle dirige son regard vers le ciel. Un ciel vraiment peu commun. Mais qu'est ce que c'était ? Ses sourcils se froncèrent. Mais où était-elle ? En enfer ? Au paradis ? Ça n'existait pas, ces choses là. Etait-elle vraiment morte ? Par réflexe, elle se tâta le corps en constatant qu'elle était toujours bien là. Elle regardait son téléphone : pas de réseau. Merde. Puis au loin, elle vit une sorte d'immense oiseau, avec une tête humaine en train de virevolter au-dessus d'elle. Il avait l'air... Très gros. Non non, quelque chose clochait. La panique s'empara de la jeune femme pourtant si contenue d'habitude. Où se trouvait-elle putain de merde ? Soudainement, des espèces de flammes jaillissaient sur ses mains comme si sa colère avait déclenché quelque chose. Elle perdit de sa contenance instantanément et les secoua dans tous les sens comme une folle pour s'en débarrasser puis elle réalisa quelques secondes après que ce feu, ne la brulait pas.
"Mais c'est QUOI ce bordel PUTAIN !"Elle rêvait, ça ne pouvait qu'être ça.Ou elle était morte. Mais ma pauvre Helga, tu étais encore très loin du compte.