Au fond de l’eau, j’écoutais. Elle m'enveloppait comme un voil tendre et protecteur, à la douce température qui me réchauffait juste comme il fallait. Tout était si calme et tranquille que, apaisée, je laissais aller, bercer par le mouvement de l’eau, presque endormi. Même si je ne dormais pas vraiment.

Mes sens étaient totalement en éveil mais mon esprit divaguait dans l’ambiance sous-marine. Les poissons autour de moi venaient chatouiller ma peau et d’autres se perdaient dans mes cheveux flottant. Un nouvel abri tout trouvé pour ces petites bêtes-là.

J’entendais leur voix, un véritable concert de douceur qui abritait mes sens et dans lequel je me perdais totalement, les yeux fermés, recroquevillée sur moi-même. Cette position était la plus agréable pour rester au fond de long, tout proche du sable, loin des bruits ambiants sur terre que la nature humaine laissait autour d’elle. Au fond de l’eau, j’étais chez moi.

J’ouvris soudainement les yeux. Un craquement, peu commun, inconnu, surtout, avait accaparé mes sens. Mon ouï s’éveilla totalement et je cherchais un son. Ce fut une voix qui attira ma curiosité.

"Aah, bordel...  ça fait du bien..."

Des paroles… bien trop humaine à mon goût. Et pourtant… Ce bruit, ce drôle de son qui m’avait attirée… il y avait quelque chose qui n’avait rien d’humain. Était-ce l’un de ses humains au “pouvoir” dont la belle m’avait parlé ? Au fond de l’eau, je ne pouvais voir. Alors, doucement, je me laissais glisser vers la surface. Sans un son, à la mesure des vagues, je sortais la tête hors de l’eau pour observer de mes propres yeux.

Définitivement non humain. Ses grandes ailes, semblables à celles d’un insecte, formaient comme un rideau d’ombre aux multiples symboles. Superbes. Une nouvelle créature venait d’apparaître sous mes yeux, une que je ne connaissais pas. J’en connaissais si peu, je sentais toute l’euphorie me gagner à la simple apparition de cette magnifique chose devant moi. Il n’y avait heureusement pas que des insectes ici. Il y avait des créatures toujours plus belles les unes que les autres.

Je glissais au rythme de l’eau, me laissant porter par les flots et atteignit la rive. Cette jolie créature ne sentait pas le sang humain. Mais sûrement, avec une aura telle que la sienne, celle-ci ne devait pas être leur ami. Sans un bruit, je sortais de l’eau sans quitter la créature des yeux. Celle-ci semblait vouloir se prélasser au soleil en… regardant quelque chose dans ses mains. Quelque chose d’humain.

"Hmph."

Visiblement, la chose qu’il avait entre les mains lui semblait incompréhensible. En m’avançant, délicatement, pour ne pas le surprendre, je remarquais une odeur particulière. Il dégageait de la créature une envie, qui semblait proche de celle d’un animal en besoin de satiété. Mais quel genre de satisfaction cherchait-il ? Son envie semblait cependant mise à mal à cause d’une étrange douleur, au niveau de son appareil digestif.

Oh… tout prenait sens. Il avait faim. Mais faim de quoi ? Un craquement retentit et le regard de la créature se dirigea soudainement vers moi. L’une des raisons pour laquelle j'exécrais de me déplacer sur terre. Marcher était pour les sauvages. Il était quasi impossible d’être discret et silencieux sur une terre foulée par les humains. ça avait valu la mort à ma dernière sœur...

Je plongeais mon regard dans la créature et tentais de l’appréhender, ou l’amadouer. Cela dépendait toujours de la manière dont on pouvait me percevoir.

Tu… as faim.

Sûrement, la créature n’allait pas se montrer choquée à ma vision. Elle n’était pas humaine non plus, après tout. Je roulais tout doucement des épaules tandis que j’avançais, pas après pas. Mon regard ne le lâchait plus et je tentais de lui poser une question, comprendre son mal. Peut-être pourrais-je l’en délivrer ?

Faim de quoi ?

Dans un sursaut de panique, elle rétracta ses jolies ailes. La belle créature m’avait-elle pris pour une humaine ? Se cachait-elle sous leur immonde apparence pour les fuir ? Ou pour mieux les chasser ? Celle-ci, cependant, sembla rapidement soulagée, et à travers les mouvements de son corps, j’y décelais une extrême fatigue. Fatiguée de faire semblant, de prendre ce corps qui ne lui appartenait pas.

Et bien vite, elle se montra à moi, sous sa véritable forme. Et quelle forme… Ses ailes n’étaient qu’un soupçon de beauté à côté de son corps tout entier. Une forme incroyable où les rayons de lumière traversaient sa peau, translucide et sombre à la fois. Un corps qui n’avait aucun égal, qui n’en aurait sans doute jamais aucun dans ce monde. Elle semblait irréelle mais son esprit qui bouillait et se dévoilait à moi était pourtant bien présent. Tout près de moi. Elle se libérait et s’offrait totalement.

Montre moi, plus. Ton corps et ton esprit, tout est si beau. La mélodie qui semble résonner en toi me laisse pantoise. Ainsi perçois-tu ma voix… ainsi te laisses-tu bercer par mes quelques paroles, t’imprégnant jusqu’à la dernière note de mon chant qui te parle, rien qu’à… toi ?

"... Le qi. Le souffle qui coule dans les veines de l'esprit."

Sa voix résonna à travers mes oreilles. Non humaine, et bien sans égal. Je me languissais. Oui, elle n’était pas humaine, cette jolie créature. Elle me faisait tellement vibrer que je me balançais très légèrement, d’une jambe à l’autre, tout en douceur et en finesse, presque imperceptible. Mes cheveux ondulaient petit à petit au même rythme.

"De forme raffinée, les émotions. Les peurs. Les douleurs. Les deuils. Les extases..."

Etait-elle comme moi ? Capable d’émouvoir et envouter ? Parce que ses paroles résonnaient en moi et je souriais doucement, mes hanches ondulantes tandis que je roulais doucement mon cou sur mes épaules. C’est qu’elle savait parler, la jolie créature. Elle se nourrissaient des plus belles choses qui existaient chez les humains. Leur peur… leur douleur… qu’ils souffrent tous, plus… encore !

La créature s’avança et je ne la lâchais plus du regard. Elle semblait curieuse, aussi. Sans me toucher, sans vraiment me frôler non plus, elle m’approchait, tournoyant autour de moi. D’une démarche qui à mes yeux semblait dansante, elle aurait envouté ses proies sans mal. Mais je n’étais pas une proie à ses yeux. La créature ne m’approchait pas vraiment, comme par méfiance. Elle me testait, voyant quelle réaction je pourrais avoir, suivant mes gestes d’un œil captivé. Elle ne voulait pas se laisser aller à trop d’euphorie, par mégarde. Et si j’avais été le prédateur ? Devait-elle se demander.

Pourtant, elle était subjuguée à ma vue. Je souriais doucement. Je n’étais donc pas la seule à découvrir… Il semblait qu’elle voyait elle aussi pour la première une autre créature qu'elle-même. Je devais être à ses yeux une nouveauté tout comme elle l’était pour moi. Et elle était prudente, cette jolie créature. ça ne la rendait que plus alléchante à mes yeux.

Je le suivais du regard, tournant la tête pour la suivre du regard, un léger sourire flottant sur mes lèvres. La joie transperçait mon âme, la sienne… les siennes. Quelque chose m’intrigua soudainement. Sa joie était confondue, elle semblait se dédoubler... Je pouvais le sentir au plus profond de moi. Elle était heureuse, mais dans son être tout entier, il transperçait un espoir incroyable. Un espoir qui semblait… au-delà de son esprit. Au plus profond de son âme, la créature avait l’espoir d’être… entendue.

"Qui êtes-vous ?"

Mais elle m’avait pourtant parlé, la jolie créature. Elle voulait être entendue, plus que par de simples paroles ou de simples gestes. Elle voulait être perçue. Sans attendre, et avec toute la délicatesse que j’avais entraînée pour approcher les Hommes, j’attrapais soudainement ce qui me semblait être le visage de la créature, d’une seule main, frôlant à peine sa peau mais figeant son visage pour la stopper et capter son regard. Mes yeux ne la lâchaient plus.

Une créature… du fond des eaux et née du désir d’un père amoureux et d’une mère pleine d’espoir…  

Je frôlais sa peau, la caressais et m’approchais de l’endroit où se trouvait son cœur. Sans réfléchir, je m’étais approché de l’emplacement où se trouvait le mien. Et je souriais intérieurement en remarquant que la créature avait son cœur au même endroit que le mien. Elle m’intéressait de plus en plus, cette créature qui se rapprochait plus de moi, que des humains qu’elle semblait imiter par dépis.

Je posais délicatement ma main, appuyant juste ce qu’il fallait pour sentir son coeur. Entends ma voix, toi aussi. La belle aux griffes de sang avait été la seule à qui j’avais donné mon nom, pour l’instant. Mais cette créature devant moi devait l’entendre aussi. Pour qu’elle s’ouvre à moi, il fallait me dévoiler. Toute entière. Entends-moi, ressent-moi, et comprend mon nom.

Epizon Teleytaios… la dernière survivante…  

Comprends qu’en te donnant mon nom, je te donne tout de moi. Je m’offre à toi. Alors offre-toi à moi ! Je levais les yeux pour plonger mon regard dans le sien. Je ne clignais pas des yeux, fixant la moindre parcelle de lumière qui transperçait dans le noir des yeux de l’étrange créature.

Tu sembles… perturbé. Quelque chose en toi espère…  

Ouvre-toi à moi et libère toi !

Parlez-moi…  

Mes doigts brillaient par sa peau qui semblait rester collé à la mienne. Comme de multiples paillettes. Son coeur s'emballait et la créature leva son grand bras avec délicatesse pour l’approcher de moi. Lui aussi posa sa main sur mon coeur et son coeur s’emballa de joie. Oui, mon coeur était du même côté que le tien. Cette idée m’a ravie autant qu’elle te ravissait en l’instant.

"... Epizon... Survivante ... ?"

Oui, c’était mon nom. Retiens le bien, et comprend sa portée. J’étais la dernière, la dernière des miennes. Je n’étais plus qu’une, là où nous étions plusieurs. Mais ça, je ne te le dirais pas. Car tu dois t’offrir d’abord à moi. Seulement, au fond de lui, je sentis que quelque chose se brisa. Son esprit semblait clair mais au fond de lui, quelque chose perça. Quelque chose tentait de m’atteindre.

"De ... Quoi vous parl-"

La créature me serra soudainement tandis que celle-ci semblait souffrir. Mais sa soudaine poigne me rendit soudainement en colère. Ne m’aggripe pas avec une telle fermeté ! Mes yeux de fentes se firent orageux, mes lèvres se replièrent, laissant mes dents en pointe  acérés ressortirent. Un grondement s’éleva de ma gorge et d’un geste soudain, je me dégageais de sa poigne et reculais de plusieurs mètres, laissant ma queue revenir pour flotter sur l’eau.

Et la créature se tordait de douleur. Son esprit était dans le flou total, dans l’incompréhension, aveugle à son environnement. Aveugle à sa réalité, semble-t-il. Encore sur mes gardes, j’observais en penchant la tête, fixant du regard la créature qui souffrait. Était-elle inconsciente de ce qu’elle gardait au fond de son âme ? Inconsciente d’avoir une existence multiple et commune ? C’était pourtant d’une telle beauté, de ne jamais ressentir de solitude, de savoir que quoiqu'il arrive, tu ne seras jamais seule…

Pas comme aujourd’hui. Pas comme moi. Qui ne sommes plus qu’une.  

Et la créature se renfermait. Ce qui voulait jaillir était opprimé. Sans liberté. Sans une chance de pouvoir s’exprimer. Et la colère gronda. Ma voix jaillit, j’étais hors de moi.

LAISSE LA ! 

Mes griffes sortirent des mains, ma peau se hirissa d’écailles aussi coupantes qu’une lame. Pourquoi la créature ne voulait pas laisser toute son âme se dévoiler ? Ouvre-toi, complètement ! Jaillis de ton antre et montre-toi toute entière !

POURQUOI L’ENFERMES-TU ?  

Je voulais lui sauter dessus et l’égorger, laisser une porte de sortie à cette âme qui pleurait dans son désespoir. Mais ce corps était à eux deux. Ils étaient deux, deux âmes qui se complétaient. Ils se devaient de vivre ensemble. Alors pourquoi l'opprimes-tu de la sorte ? Pourquoi ne la vois-tu pas ? Ne l’entends-tu pas ? Vous êtes pourtant vous, ensemble, à tout jamais ! Tu as encore cette chance, celle de l’avoir, de ne pas l’avoir perdue, d’être encore ensemble !

ENTENDS-LA ! 

La créature s’était elle aussi mise sur ses gardes, elle avait sentie ma colère. Toi aussi tu sors les griffes, mais es-tu seulement capable de tenir debout ? La douleur te tord en deux, parce que tu ne veux pas la voir !

"Aagh ... !"

Tu ne souffrairais plus si tu regardais la réalité en face ! Cesse d’être borné, créature aveugle, et vois toi telle que tu es ! Telle que vous êtes… Pourquoi es-tu aveugle ? Qu’est-ce qui t’empêche de le voir et le sentir ?

"De...Qui vous parlez... ?"

De qui ? Il est pourtant là, si visible. Si présent. En toi, il attend, attend que tu l’entendes et le repère. Il attend que tu te souviennes. Et toi, que fais-tu ? Tu l’ignores ? Tu l’abandonnes ? Tu as la chance d’être encore plein et entier. D’être vous et non plus toi. D’être plusieurs et non plus unique. Tu as la chance de ne pas avoir perdu ton âme.

Et tu fais comme si elle n’existait pas ? Tu m’enrages !

"Ai... Aidez-moi..."

C’est ce que j’essaie de faire ! Vois-le ! Ecoute-le ! Il est là. Ma rage est si forte, je te hais pour être si aveugle ! Réveille-toi, créature d’un monde qui m’est inconnu. Ton être tout entier est un mystère pour moi, mais les secrets de l’âme sont ma seule échappatoire. Dans un monde où je ne trouve plus ma place, l’âme est la seule chose que je connaisse, que je sache lire, voir et comprendre. Alors fais-moi confiance que je te dis que tu n’es pas seul !

J’ouvrais la bouche pour sortir un cri intérieur, aucun son ne jaillit par ma bouche mais je hurlais de tout mon cœur, de toute mon âme. Un cri intérieur que jamais personne n’entendra. Parce que moi, désormais, je suis seule.  

Je ne peux pas comprender qu’on soit si incapable de sentir n’être pas seule dans sa conscience. Seule dans une âme. Tout est visible, lisible. L’âme n’a pas de secret. Qu’est-ce qui t’empêche de voir ? Vraiment !

Et ton regard se transforma. Tu m’entends, toi. Tu sais que je suis là. Oui, libère-toi !

"AIDEZ-MOI !"

Je t’entends… Ne pleure plus, ton âme est si belle. Vous êtes si beau, tous les deux. Oh non… Ne serre pas ta gorge de cette manière, n’essaie pas de te faire du mal… Parce que vous allez vous faire du mal à tous les deux.

"A I D E Z - M O I ... !"

Je m’avançais, ma colère s’amenuisait paisiblement, et tout aussi lentement, je glissais vers vous. Je suis là… avec toi… avec vous. Mes écailles se rétractaient tout doucement tandis que j’avançais mon bras, les griffes toujours sorties. J’approchais avec tendresse cet être qui voulait vivre, qui voulait jaillir de la prison de l’esprit que l’autre ne voulait pas connaître. Calme ta peine et ta colère. La douleur s’amenuisera, ne t’en fait pas. Il te suffit simplement d’accepter, tout de toi… tout de vous…

Retrouve-toi… découvrez-vous !

Ma main se posa sur ton visage, avec toute la douceur dont j’étais capable. Mon autre vint griffer lentement son torse, au niveau de son coeur, pour le garder proche de la réalité. Accroche toi à ce mince filet de douleur et regarde-moi bien. Tu n’es pas seul, car tu ne l’as jamais été. Observe bien, au plus profond de ton âme, et de ton être.

Tu n’es pas seul.

Alors pourquoi...

Pourquoi pleures-tu la perte de ce qui n’a jamais cessé d’exister ?  

"Aah, magnifique Epizon. "

La créature était libre, et son corps répondait à sa délivrance. Elle retrouvait sa forme plus douce et son soulagement transparaissait à chaque pore de sa peau. Sa main vint se poser sur ma peau et m’offit une charmante caresse, comme un geste de remerciement. Il n’avait pas hésité un seul instant et je souriais doucement.

"Ta musique est si belle. Mais contrairement à mon tendre meurtrier ... J'entends le rythme juste entre tes notes. "

J’avais soudainement plus de mal à suivre et mon sourire laissa place à un étonnement non dissimulé. Que voulait-elle dire, cette jolie créature, lorsqu’elle parlait de meurtrier ? L’aveugle avait-il consciemment emprisonné la douce âme en face de moi ?

"... La souffrance assourdissante dans le silence entre tes lèvres. Ah, mais où sont mes manières ? "

Elle parlait beaucoup, cette nouvelle âme. Elle n’avait pas pu parler pendant très longtemps et sa libération semblait l’emplir d’une joie sans pareille. Elle était euphorique, mais de cette euphorie discrète qui se percevait à peine. Les ailes de ce corps qui m’étaient inconnues se réctractaient sur elle-même, assouplissant sa forme, et elle fit une légère révérence. Il semblait que la créature saluait de cette drôle de manière.

Si elle savait, cette jolie créature, que les présentations n’étaient plus nécessaire… Nous avons dépassé ce stade il y a bien longtemps.

"Je suis l'astre qui se lève à l'est d'une nuit sans nuages. Yun Wu'yue. "

Des paroles qui n’avaient aucun sens à mes yeux. Je ne savais pas ce qu’était l’astre qui se lèvre à l’ouest. Mes parents, eux, auraient pû les connaitre, cependant. Je commençais, doucement, par faire le tour de la créature, l’observant sous toutes les coutures. Elle disait avoir été tuée.

Tendre meurtrier…

D’un glissement de main, je caressais de son dos jusqu’à son torse, griffes toujours sorties, et pointait du doigts son torse, enfonçant très légèrement la pointe piquante dans sa peau, et je le regardais, droit dans son regard tellement plus calme.

Vous ?

Je penchais la tête et glissais ma main sur ce qui ressemblait à son ventre. Je peux sentir ta faim. Insatiable.

L’astre ?... qu’est-ce ?

Je m’avançais vers ton dos et telle un serpent m’accrochait pour m’élever jusqu’à tes épaules. Je les entourais de mes bras et venais loger mon menton contre ton oreille. Je ne faisais pas de bruit, mais tu peux entendre ma voix, après tout ?

Qi… te nourris-tu… seulement d’humains ?

Pourrais-tu me voir comme un repas pour apaiser ta faim ? Oserais-tu ne serait-ce qu’essayer ? Je souriais à cette idées… Mon intuition était que tu te nourrissais de quelque chose que j’aurais dû mal à t’offrir.

Dégustes-tu leur âme ? Vivantes ?

Je rigolais intérieurement. Il était tellement plus délectable de les voir agoniser, encore conscient d’être en train de disparaître, mais sans pouvoir espérer changer le cours des choses, incapable d’y échapper. Ils étaient voués à disparaître et ils le savaient, ces petits humains. Mes sœurs avaient savourer leur désespoir tandis qu’elles les dépeçaient vivants, qu’elles voyaient leur sang se confondre dans l’eau, teintant d’un magnifique rouge les eaux dans lesquelles nous nous complaisions.  

Offres moi leur vie, et je te donnerais leur agonie !

La créature me parle d’étoile, et de coutume. Un usage qui ferait de lui ce qu’il est. Mais qui est-il vraiment ? Il n’en dit rien. Et ça l’amuse, la jolie créature. Elle joue, mais pas de moi. Elle entre dans ma danse et nous jouons ensemble. Une fois nichée sur ses épaules, elle s’amuse d’autant plus à tester mes limites, et voir si j’allais réagir comme je venais d’agir quelques instants plus tôt.

Ces paroles laissaient entendre qu’il n’y avait pas que les humains dont ils pouvaient se nourrir. Tant que la proie face à lui était capable de “ressentir”, il appellerait ça son prochain repas. Ainsi donc était la nature de sa faim. Il avait faim des âmes qui naviguaient et qui vibrait de sensation.

"Tu n'es pas curieuse ... ?"

Tous les jours, depuis mon arrivée ici. Azuola était le berceau des dernières traces de créatures en ce monde. La curiosité était ce qui me poussait à continuer à vivre et à danser. ça, et l’envie acharnée de détruire chaque reste d’humain qui pouvait fouler ses terres. La créature s’amuse beaucoup, elle semble euphorique de pouvoir réellement parler, et ne plus simplement observer, emprisonnée dans la chair d’un autre. Mais elle n’était pas totalement libre. Pas encore.

"Je ne déguste pas les âmes ... Mais je peux les vider. Complètement, de tout ce qui en fait la substance même. Lentement. Oh Epizon ... Cette sensation me manque terriblement. "

Tu souris, mais tu es plein de colère, joli créature. De la colère d’avoir été oublié, enfermé au fond d’une âme qui t’a trahie. Une âme qui s’affaiblissait, qui se laissait vaincre par le remord. Un remord injustifié. Parce qu’elle t’avait tué, cette âme, ou du moins elle avait essayé.

Les vider…

J’aimais cette idée, et encore plus celle de s’en languir… De prendre son temps. Tout comme ton… tendre meurtrier l’avait fait sur toi. Te priver de ton corps, tentant de vider ton âme. Glissant sur ton dos, je me plaçais devant toi, et posais doucement mon oreille contre ton cœur. Je souriais délicatement, tout comme toi le faisait pour t’amuser. Ou cacher ta douleur, à l’occasion.

Vous ne vous accordez pas…

Je fermais les yeux et sentais son coeur battre. Mais les deux âmes se battaient. L’autre voulait revenir, reprendre le droit sur son corps.

Il ne se nourrit pas… ça t’enrage…

Parce que la nourriture est disponible à foison, ici. Parce qu’il pourrait se nourrir de tous ses humains qui foulent cette terre de leur existence inutile. Il ne devrait pas souffrir de la faim et s’affaiblir comme un insecte. Les insectes étaient les Hommes et vous étiez leur ultime dessein. Venu les libérés de leur sentiments futiles, la cause de tous leur maux, la raison de leur décadence. Les libérer de ce poison qui coulaient dans leur veine soignerait la plaie de ce monde, délivrerait ses terres de la peste que les Hommes favorisaient.

Emeline… pourrait te les offrir…

Je me redressais pour accrocher ton regard. Viens avec nous, et tu découvriras l’extase des joyaux logés au fond des cachots de l’ordre. Là-bas, les humains étaient un dessert qu’on pouvait savourer. Et personne ne viendrait les délivrer, si ce n’est nous-même. Lorsque on se laissait du jouet qu’on nous avait offert, ou lorsque celui-ci, trop cassé, n’avait plus grand intérêt. Je souriais, d’un sourire qui étira tellement mes lèvres que mes dents brillèrent à la lumière du soleil.

Rejoins-moi

Aussi alléchante ma proposition était, tu ne semblais pas avoir la force de me suivre. Le spasme de douleur revenait et je sentais ton âme en peine résister. Il revenait, ton tendre meurtrier, celui dont ce corps semblait appartenir. Parce que ce n’était pas le tien, à toi, bel âme qui hurlait pour être entendue.

"Un Guei n'a pas de maître, très chère Epizon... Mais... Je souhaite recontrer cette Emeline un jour ... "

Un voeu, un espoir. Tu voulais être libéré de ce corps. Mais comment t’aider, lorsque moi-même, je ne savais pas vraiment ce que vous deux signifiait ? Tu te penchais vers moi, comme si tu souhaitais que je te reteigne. Ton âme semblait s’échapper à nouveau. Fatigué. Mais je ne peux pas te retenir. Je ne pourrais que t’inciter à rester, à survivre. T’inciter à tout faire pour rester en vie. Car tel est mon nom.  

"Nous semblons avoir beaucoup en commun ... "

Plus que je ne pouvais l’espérer. Les créatures de ce monde sont fantastiques, et je pourrais presque remercier Shën de les avoir invitées ici, avec moi. Mais celle-ci avait menti, et invité les Hommes, également. Elle avait amené la peste sur cette terre et c’était à nous de nous démener, là encore, pour survivre. Mais certains des humains ne seraient pas notre fin. Plus, ils seraient notre faim.

En plongeant mon regard à nouveau dans le tien, tu n’étais plus toi. Tu étais lui, le tendre meurtrier, qui restait aveugle sur sa propre conscience. Aveugle de ses propres méfaits, et incapables de prendre la responsabilité de son acte.

Oh, tu as de la chance, douce créature. Beaucoup de chance. Malgré ta peur, ton coeur qui battait la chamade dans une tempête d’incompréhension, tu as en toi une âme qui vaut la peine d’être connue. Qui vaut la peine de vivre. Mais elle est enfermée en toi, dans ce corps qui ne lui appartient pas.

Tu tombais devant moi, et j’avais presque de la pitié pour toi, tendre meurtrier, qui n’était même pas capable de sentir l’être en toi qui se languissait de la vie que tu tenais à sa place, sans pouvoir rien lui offrir. Qui hurlait son désespoir de ne pas pouvoir manger à sa faim. Qui ne pouvait pas vivre sans te regarder te consumer.

"Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu m'as fait ?!"

Mes yeux s’ouvrirent un peu plus, sous l’effet d’une légère surprise. Oh ? Maintenant tu te persuadais que c’était moi la coupable ? Coupable de ton aveuglement peut-être ? Coupable d’être capable d’entendre celui que tu ne veux pas voir ? Un rire intérieur me prit et je souhaitais tellement le partager à toi, Wu'Yue. Entends-moi rire de la bêtise de ton ancien aimé - ou peut-être toujours ?

Moi… rien.

Je souriais et tendis le bras pour caresser ta joue, délicatement, telle l’eau qui coulait sur la peau. Tu sembles comme l’un de ses tout jeunes humains, plein d'innocence et d’incompréhension lorsque la mort venait les trouver. Comme s’il n’avait pas fait leur temps. C’était drôle. Après tout, les humains eux-mêmes se nourrissaient bien des enfants des animaux ?

Toi, en l'occurrence…

Je rigolais et m’éloignais, un pas derrière l’autre, retournant tout lentement vers l’eau du lac. Je te lâchais pas du regard tandis que je me délectais de ton air effrayé. Ah.. quel dommage que je ne puisse plus te parler. Mais nous nous reverrons. Je ne promettais rien, mais mon instinct me parlait. Tout comme il parla à Enstikto, ma sœur, il y a bien longtemps. Ce sentiment d’être persuadé que tout se passera comme on l’espérait. En touchant l’eau, je tendais mon bras comme pour t’atteindre, étendant mes doigts dans ta direction.

Entends-moi, belle créature. Entends la plainte de ton aimé, de celui que tu pensais disparu. Entends sa plainte quand tu as voulu le faire disparaître. Entends-le.  

Réveilles-toi

Ton aimé n’a pas disparu. Ton aime est un survivant. Il avait raison, nous avons beaucoup en commun, lui et moi. Je souriais et, d’un mouvement souple, je bondissais hors de la terre et plongeais dans l’eau pour rejoindre le fond du lac, et son calme agréable. Là où personne ne pouvait jamais atteindre. Et dans ce silence délectable, je me rappelais sa voix, son regard et ses douces caresses.

Nous nous reverrons, Wu'Yue

Un vœu dans un murmure silencieux que seul le principal concerné pourrait éventuellement entendre.