On dit que ceux qui meurent sans sépulture correcte, avec une rancoeur que même la mort ne peut éteindre, peuvent se réincarner en Guei. Une race de démons très rare, car très peu survivent aux premières années de leurs vies.

Nous naissons seuls, petits et vulnérables. Dans le monde cruel des esprits avant celui des hommes. Là, à peine nos yeux ouverts, nous devons lutter pour notre survie. Dévorer ses rivaux, ou être dévoré soi même. D'autres démons, même, ont parfois la tâche de chasser spécifiquement les jeunes de ma race, pour éviter que nous grandissions. Car une fois adultes ... Nous sommes craints.

A la suite de la survie, vient la prédation.

Nous devenons grands, monstrueux et forts. Mais avec l'âge adulte, nous apprenons aussi à changer notre apparence. Les plus fourbes et malins d'entre nous deviennent de fins illusionnistes, arrivant à se façonner un corps humain illusoire, avant de partir arpenter le monde des hommes pour se nourrir. Là ... Les esprits qui nous chassaient petits n'osent plus nous approcher. Nous marchons dans les villages, et les autres ne nous disputent plus la première bouchée d'une chasse. Dans mon pays, il y a une règle parmi les bas esprits et les démons : respectes le Guei qui marche sous les traits de l'homme, ou tu deviendra sa nourriture.

Et quelle nourriture !
Ne le savez vous pas ? Dans vos corps de chair, il y a les veines où coule votre sang. Ces veines et ce sang qui nourris votre corps. Mais il y a d'autres veines, que vous ne voyez pas. Subtiles, invisibles, et pourtant là. Les méridiens, où s'écoule ce que beaucoup d'humains appellent différemment : le Qi, le vent vital, l'énergie spirituelle ... Cette substance, qui alimente votre esprit. Vos émotions. Cette énergie qui explose et déborde selon vos joies, vos peines, vos douleurs ou vos orgasmes... C'est ma nourriture. Non, ce n'est pas douloureux. Peut être que vous apprécierez même ça, qui sais ? Les humains nous dépeignent bien parfois, dans les contes populaires, dévorant les peines et les regrets de jeunes amoureuses éplorées. Comme une faveur. Bah !

Nous parlons la langue des hommes. Bien que ce ne soit pas notre communication naturelle : nous parlons avec nos corps. Avec les vibrations graves que nous faisons résonner dans notre gorge et notre poitrine, comme un instrument vibrant. Incompréhensible pour nos proies.

Un Guei n'a pas de nom, à sa naissance. Pourquoi en donner, alors que nos chances de survie sont si faibles ? Ce n'est qu'une fois complètement adulte, capable de se fondre en apparence parmis les hommes, qu'un Guei choisi son nom. Dans la tradition de notre race, il lèvera les yeux au ciel pour lire les constellations, et se nommera d'après la position des astres. ça semble poétique pour les autres. Entre Guei, c'est un titre qui nous indique notre âge et notre origine avant tout.

Chez les humains, l'âme est dans le corps.
Chez le Guei, elle réside dans son énergie.
Un Guei ne doit donc jamais en dévorer un autre. Nous ne pouvons pas nous dévorer entre nous. Car notre énergie est ce que nous sommes. Notre substance même. Notre conscience. Et nous ne sommes pas faits pour dévorer les consciences.
Nous ingérons l'énergie des autres êtres, pour l'intégrer dans la nôtre. Mais une conscience, ça ne se mélange pas au reste. Comme de l'eau et de l'huile. C'est le plus grand tabou de notre race.

Tout en nous semble être le contraire des humains: eux, des créatures physiques de sang et d'organes, nous, les monstres de Qi et d'esprit. Nos organes sont même inversés, en exact miroir à ceux des humains. Notre coeur battra à l'opposé de celui d'un homme. C'est d'ailleurs une manière pour les chasseurs de monstres de prouver que leur trophée était bien un Guei : il suffisait de lui ouvrir le ventre. Si les organes étaient en miroir, alors c'était la preuve que le chasseur méritait un paiement extrêmement généreux pour sa prouesse.

Notre reproduction ? Vous avez des questions bien étranges. Les Guei n'enfantent pas. Nous sommes tous stériles, sans exception. Bien sûr, nous pouvons nous adonner aux plaisirs charnels avec les autres races par curiosité, ou pour en tirer un repas de meilleure qualité. Mais vos manières sont si ... Crues. Si peu raffinées. Si peu intimes.

Entre Guei ? Oh, entre nous, c'est bien différent. Nous sommes des créatures d'énergie, d'esprit. C'est par là, que nous nous mêlons. Vous dansez avec vos corps, nous entremêlons nos âmes. Ce sont des sensations si uniques et extatiques. Nous qui vivons une vie si solitaire, vous ne pouvez imaginer l'intensité de notre extase, lorsque nous nous lions enfin à un congénère aussi intimement. C'est un moment sans pareil. Un lien inviolable.

Bien. Vous êtes encore là ? La nuit est bien avancée, pourtant.
Vous devriez partir. Rentrer chez vous.
Voyez vous, j'ai presque fini ma bière.
Ce serais fort bien dommage que vous soyez encore là, lorsque je penserai à aller me chercher un petit en-cas après cet apéritif.

Mhm  ?