Histoire
Les deux astres et le vin d'étéLa légende des demons jumeaux a commencé comme une rumeur de cour. Certaines nuits, deux hommes aux charmantes manières pouvaient être vus dans les tavernes de la ville. "Astre de l'ouest" avait une chevelure noire comme la nuit, et "astre de l'est" était pâle comme la lune. Partager un verre de vin d'été avec eux portait chance pour un bon mariage, disait on... Les courtisanes avaient bon espoir, et consultaient même en cachette les astrologues de la cour pour essayer de déterminer quelles nuits étaient les plus propices pour tenter leur chance et essayer de croiser les créatures porte bonheur.
Le secret de la rumeur était bien gardé. Du moins, jusqu'à ce qu'elles se rendent compte que certaines ne revenaient pas. Et que ça commençait à se voir, surtout.
Soucieuse d'étouffer l'affaire avant qu'elle n'arrive aux oreilles du couple royal, la responsable des courtisanes fit discrètement appel à un sorcier Taoïste de passage: si il arrivait à capturer les deux demons et à les emmener loin d'ici, elle s'assurerai qu'il reparte avec un bon salaire.
Liao Xuefeng était cet homme. Réputé redoutable, à la limite du cruel avec ses esprits gardiens, il était justement à la recherche de nouvelles entités à soumettre pour rivaliser avec un sorcier concurrent. Et cette nuit là particulière, il s'était arrangé pour que la taverne soit vide. Sauf ces deux charmants hommes, qui étaient venus à leur habituel lieu de chasse
La bataille mis l'établissement à sac, mais peu importait a Liao, tant qu'il gagnait la soumission des deux demons. Cependant, même vaincus, ils refusaient de se mettre au service du sorcier. Liao en vint aux menaces, annonçant que le premier à se mettre à son service serait le seul à être épargné.
Astre de l'est ne baissa pas les yeux. Ils se l'étaient promis, des siècles auparavant, que si ce moment arrivait ils mourraient ensemble. Inséparables jusqu'au bout.
Mais la main de l'astre de l'ouest tremblait. Pour la première fois de son existence, il ne se sentait pas puissant. Il découvrait la peur. Il réalisa que l'idée de mourir le terrorisait.
Alors il accepta le Pacte avec le sorcier.
Pour s'assurer de la loyauté de l'astre de l'ouest, et ne rien lui laisser vers lequel il puisse fuir, Liao lui demanda de se débarrasser de son jumeau. Puis il enferma l'âme du démon dans un talisman, s'octroyant un total contrôle sur la vie de Ye .
Le soir là, le vin avait un goût de cendres. Et son repas était bien lourd.
Solitude et servitudeLes années suivantes étaient passées aux côtés de Liao, qui ne le traitait pas mieux que ses autres esprits gardiens. "Chang geng", l'astre de Vénus à l'ouest, signifie un mauvais présage. Et le sorcier s'assurait bien que ce nom convienne bien au démon, lui demandant d'aller lui même créer des problèmes dans différents villages pour que Liao arrive ensuite, posant en sauveur tout en faisant mine de débarrasser les paysans du terrible démon qui était en fait son esclave. La combine payait même très bien.
Ye s'en fichait, au fond. De Liao, de sa morale branlante et des humains. Sa vie était devenue une très, très longue nuit ponctuée de victimes par ci et par là. Juste assez pour se nourrir.
Puis Liao décida qu'il était temps de se débarrasser de son rival. Et Ye fut envoyé faire du charme à l'ennemi dans une taverne, comme au bon vieux temps... Celui où il était libre, et s'endormait à l'aurore, repu, humant l'odeur fraîche dans les cheveux pâles de son partenaire.
Il fut tenté de plaider sa cause auprès du sorcier rival. Il avait un esprit gardien avec lui, qui semblait bien traité. Mais Ye se ravisa: Liao avait tout pouvoir sur sa vie, après tout. Alors Ye arriva à tromper l'esprit gardien et le sorcier, et à charmer ce dernier juste assez pour obtenir de le revoir... Puis un autre rendez vous... Et encore. Ponctionnant à chaque fois un peu de la force vitale de l'humain, avec l'art et la délicatesse del'expérience. Il y avait quelque chose de fascinant à le voir dépérir. Ye se délectait de ce repas rare, de la sensation retrouvée d'avoir quelqu'un sous son emprise. Et Liao obtint ce qu'il avait toujours voulu: la mort de son rival. Ye, lui, avait l'assurance que les rides naissantes sur les traits de son esclavagiste annonçaient une victoire proche.
Les changements du monde Aucun humain n'est éternel. Et Liao n'était pas une exception. Cruel jusqu'au bout, le sorcier était déterminé à détruire les talismans qui lui donnait pouvoir sur ses entités gardiennes, pour tous les emporter avec lui dans sa tombe. L'astre de l'ouest, bien sûr, n'y comptait certainement pas. Et c'est sur le lit de mort du vieux Liao que Ye, calculateur et malin, frappa, volant le talisman qui portait son nom avant que l'humain ne le détruise. Laissant son vieux maître mourir seul. Abandonné. Sans un seul regard en arrière.
Il avait récupéré sa liberté. Sa vie, fragile, enfermée dans ce talisman qui ne le quittait plus.
Mais son existence était toujours aussi solitaire, sans sa moitié. Et Ye ne trouvait aucune satisfaction dans son errance. Le monde changeait. Les humains changeaient. Leurs émotions devenaient plus puissantes, plus délectables. Leur monde baignait dans la lumière électrique, et pourtant leur regards étaient si sombres. Ye se pris de fascination pour le monde moderne. Les nuits dans les bars remplaçaient celles dans la taverne. Et le démon se surpris à prendre les humains en pitié. Leur vies, pleines de commodités si inimaginables dans les siècles précédents, étaient devenues aussi vides de sens que la sienne.
Il y avait tant de désespoir, dans l'air du soir. De goût salé, sur les lèvres de ses victimes. Ye sentait presque les émotions de ses victimes lui donner des maux d'estomac. Cela faisait trop écho à autre chose en lui, qu'il avait gardé soigneusement enterré sous sa façade de cruauté: sa propre culpabilité. Celle d'avoir troqué son seul amour pour une existence si creuse.
L'astre solitaire et la Long Chuan à la pêche.On raconte que certaines nuit, un vampire magnifique aux longs cheveux sombres comme le ciel nocturne passait la nuit à une table d'un certain bar en ville. La rumeur disait que ceux qui ne voulaient pas mourir seuls devaient lui payer une long chuan à la pêche, et que si ces personnes plaidaient assez leur cause pendant qu'il la buvait, alors parfois elles pouvait repartir avec lui. Avec l'assurance d'une mort douce, sans douleur, dans ses bras.
Ye n'était pas malheureux de cette rumeur. Il s'y prêtait sans sa cruauté d'antan. Cette fois ci il n'était pas en chasse avec son amant comme auparavant. Il était seul, et c'était un arrangement silencieux et mutuel avec ces humains: un suicide assisté contre sa sustenance. Avec la magie qui se rarefiait, sa culpabilité qui le déchirait, il se sentait mal et fiévreux.
Il commença à soudainement rendre ses repas. À maîtriser de moins en moins ses pouvoirs de métamorphe. Il devint las, de plus en plus malade.
Mais comme des siècles auparavant devant le chantage de Liao à cette taverne, il se refusait à se laisser mourir. Alors il se mis à écouter les rumeurs lui aussi, celles de ses comparses créatures de la nuit. Les rumeurs d'une autre terre, par delà la mer, où la magie coulait à flots. Une terre où les créatures comme eux pouvaient recommencer à zéro. Une terre de magie. Peut être qu'il y trouverai là bas un remède à son mal ?
Le mystérieux vampire de la rumeur ne fit plus d'apparition dans le bar, la nuit. On raconte qu'il a été vu pour la dernière fois sur les quais du port, avec une valise, prenant un bateau clandestin avec d'autres silhouettes étranges. Plus jamais personne ne le revit.