A la recherche d'Hastur - PV. Candice

Tout débuta par des odeurs. D’abord celle de la magie, un parfum rance qui m’irritait et me dégoûtait, puis celle plus douce d’un des miens. Avant d’entrer dans ce monde répugnant et de traverser la frontière pour rejoindre ce territoire impie, j’étais incapable de localiser Hastur, mon demi-frère, le perfide Roi en Jaune. Mais, la barrière traversée, sa présence m’était apparue avec violence. Nul doute, d’ailleurs, que mon apparition aurait le même fait sur lui. Je n’étais donc pas le seul à tenter d’éradiquer les apostats, ceux qui tentaient vainement d’enrayer le processus que nous avions engagés depuis des millénaires déjà. Je ne l’appréciais pas beaucoup mais ce n’était pas nécessaire de l’aimer pour travailler ensemble. Il me fallait donc le trouver, ce qui allait se montrer plus difficile que prévu. J’avais passé quelques jours à tenter d’assimiler les codes de cette société primitive, de comprendre comment ces insectes entraient en interaction. L’idée de devoir me montrer prudent m’était insupportable : pourtant, je ne pouvais pas me montrer trop audacieux sous cette forme. Un tentacule, un seul, une infime dose de mon pouvoir dans un royaume envahit de créatures et de magiciens capables d’annihiler cette maigre partie de mon être. Ravaler mon ego m’était difficile mais il m’était impossible de faire autrement, par peur de mettre en déroute le bon déroulement de ma prophétie.

Habiter l’apparence, même fictive, d’un être humain ne me plaisait guère. Tout était si étroit, si primaire, si reptilien. Se mouvoir normalement me prenait un temps fou et je n’étais pas aussi doué dans l’art de l’imitation que mon frère. Mes expressions faciales, ma diction, ma posture : tout chez moi montrait mon dégoût de ce camouflage et mon manque de connaissances dans les cultures autochtones. Les conventions sociales m’étaient totalement étrangères.

Toujours est-il que cela devait être mis de côté, en tout cas aujourd’hui, dans l’espoir de réaliser un plan d’une plus grande ampleur. L’aura de mon frère avait été bien vite cachée, mais j’avais réussi à identifier quelques traces de lui chez certains individus et je tentais donc de les contacter, pour pouvoir ensuite discuter avec leur maître. Tout ceci m’avait emmené devant un étrange édifice que l’on nommait un théâtre, un bâtiment dont le but m’échappait totalement. En revanche, l’architecture de l’endroit, par ses lignes affirmées, me procurait une sensation plaisante de sécurité.

J’arrangeais lentement mon costume noir – que j’avais imité en compulsant la presse locale – et mes boutons de manchette, pour paraître le plus impeccable possible. Mon enquête m’avait permis de déterminer que l’apparence physique était très importante pour engager correctement une situation sociale, d’autant plus si l’on souhaitait obtenir quelque chose de son partenaire. Un attaché caisse se baladait entre mes doigts avec la régularité d’un métronome. Rien dedans, évidemment, mais j’avais là aussi appris que cela donnait un côté sérieux, professionnel. Une fois superbement épousseté, j’entrais dans le bâtiment d’une longue enjambée, observant fixement droit devant moi. Que devais-je faire ensuite ? Prévenir que j’étais ici ? Mais comment faire, déjà ? Les gens se saluaient par des petits mots, je pouvais faire de même. Je n’avais personne à mes côtés cependant à alpaguer. Bien, j’allais m’annoncer suffisamment fort pour prévenir l’ensemble des êtres vivants que j’attendais à la porte. Levant ma main droite vers ma bouche pour en faire un porte-voix, je mis à hurler – avec une élocution syllabique parfaite maîtrisée – en faisant trembler le bâtiment sous les secousses de mon timbre rauque.

─ BONJOUR, JE VOUDRAIS PARLER A UN HUMAIN. VITE.

A la recherche d'Hastur - PV. Candice

Ma tentative de communication s’était montrée particulièrement fructueuse, puisqu’une créature traversa le bâtiment pour m’accueillir comme il se devait. J’avais commis un abus de langage, dans ce monde, les créatures fantastiques côtoyaient des humains naturellement. Le langage était une chose difficile et j’avais essayé de trouver une traduction littérale d’un mot que nous employons parmi les Grands Anciens, désignant en quelques syllabes l’ensemble des créatures qui nous étions inférieurs : c’est-à-dire bien que plus que nous pouvions compter d’étoiles lorsque la nuit remplaçait la lueur du soleil. Mais soit, je notais mentalement mon erreur ; manifestement, ma manière d’engager le dialogue ne correspondait pas à pas ce qui était attendu dans ce genre de situation. Comment me faire comprendre de ses insectes ? Je décidais de me faire violence en me confondant en révérences linguistiques, tentant vainement de reproduire ce qui devait être une discussion normale.

─ Non, je ne cherche pas des humains. Je ne m’excusais pas de l’incompréhension, je ne pouvais pas tomber si bas. Mais une esclave, et je crois que vous remplirez parfaitement cet office, car je sens l’odeur d’un de mes confrères sur vous. Pour un autre personnage, cette phrase aurait pu être extrêmement inélégante – mais le tentacule, ici, ne cherchait pas à faire des allusions salaces. Aucunement même. Votre ascendance, bien que probablement très singulière, ne m’intéresse que très peu en réalité. Je souhaite voir mon demi-frère, votre maître. Faites-le venir rapidement. Je souhaite m’entretenir avec lui de choses particulièrement urgentes. Je ne pourrais pas vous en faire part, cependant.

Évidemment, je ne clôturais pas mon discours par une formule de politesse, il n’était pas question de montrer plus de déférence que cela. Je me souvenais des goûts particuliers du membre de ma famille, et je reconnus son amour pour l’extravagance et le décalé – pour ne pas dire le ridicule. Je baladais mon regard sur l'intérieur du bâtiment, notant les dorures, les rideaux, les éléments décoratifs colorés qui en faisaient partie. Je n’étais pas très partisan de ces choix, mais le manque d’élégance ne constituait pas un crime que je pouvais déplorer. Il était bien libre de s’acoquiner avec des animaux s’il le souhaitait, même eux pouvaient parfois adopter des êtres pour se divertir, comme ces félins qui avaient tendance à me coller, reniflant probablement quelques effluves marines sur ma tenue immaculée.

─ Dites-moi, femme non-humaine, tentais-je en sa direction, que faites vous précisément dans ce lieu ? Je n’arrive pas à comprendre l’utilité de celui-ci, même si je reconnais que Hastur a tendance à apprécier l’extravagance et l’entropie. Quelles sont vos fonctions d’esclave ?

Peut-être avais-je sélectionné le mauvais spécimen, celui-ci semblait plutôt limité ou défaillant. Lorsque la jeune femme me soutenu l’absence d’esclave dans le repaire de mon demi-frère, je ne pus réfréner un gargouillement amusé. Ne pas avoir conscience de ses propres chaînes était malheureux, j’avais presque de la peine pour elle et son aveuglement éhonté. Je l’écoutais distraitement, comme on écoute un enfant mal élevé capable de mettre sa main dans un plat de nourriture en dépit de toute bienséance - probablement dû à une engeance hispanique. La mention du nom de mon confrère me fit l’effet d’un crissement particulièrement désagréable, ma langue n’était définitivement pas pour tout le monde.

− Vous voyez que vous n’êtes pas si bête, il suffisait de vous laisser réfléchir plus de deux minutes pour que vous puissiez vous-même vous rendre compte de votre erreur. Oui, esclave, je souhaite parler à votre maître, Hastur. Pourriez-vous l’avertir de ma présence ? Ou dois-je le faire moi-même ?

Elle me répondit que le Roi en Jaune était ailleurs, et qu’il me fallait attendre, béat, l’arrivée de mon frère comme si je n’étais qu’un mendiant. Je réprimais ma colère et mon envie de meurtre le temps de finir cette discussion désagréable. Je venais d’apparaître dans ce monde, je devais me faire aux us et aux coutumes de ce nouveau domaine. Peut-être était-il courant ici de se faire insulter par les insectes, que c’était une manière désagréable mais récurrente d’interagir avec les êtres supérieurs. Je ne pouvais pas me prononcer, tout était si primaire, si étrange, que cela ne me semblait pas plus déplacé qu’autre chose. Je modulais ma voix pour détacher chacune des syllabes en arborant un ton compréhensible, à la manière des adultes qui souhaitaient expliquer aux enfants des choses complexes. Mais avant tout cela, il me fallait quelques précisions d’usages :

− Qu’est-ce qu’un film ? Et combien de temps devrons-nous l’attendre ? L’inclusion de cette non-humaine était volontaire, je ne saurai souffrir de l’affront de rester immobile en laissant partir un sbire vaqué à des occupations supérieures. Je n’étais pas le genre de créature qu’on pouvait laisser de côté, ma présence était toujours une priorité. Peut-être qu’Hastur aime ses animaux avec plus de liberté que je ne tolère les miens, libre à lui de jouir à sa manière de ses bêtes, je ne me permettrai pas de jugement sur sa manière de gérer ses affaires. Pour ma part, j’avoue avoir un peu de mal avec le ton que vous utilisez en vous adressant à moi, je ne tolère pas le manque de respect. Je souhaite parler à votre maître, nous attendrons ensemble son retour, et je vous enjoins à espérer que celui-ci ne tarde pas trop. Il m’arrive d’avoir faim et si vous connaissez la nature que nous partageons avec le Roi en Jaune, vous devez savoir que je ne me nourris pas tout à fait de vos écœurantes denrées alimentaires.

Et, tout en parlant, je me fis légèrement plus menaçant. Dévoilant des tentacules se baladant à travers mon attaché-case et mon costume impeccable. Ceux-ci s’agitèrent agressivement, fouettant l’air en guise d’avertissements tacites.