Histoire
Les humains, les sans pouvoirs, ceux qui en avaient été dotés et pourtant ne les méritaient pas…
Voilà tout ce qui répugnait la famille Cente en ce bas monde. Voilà aussi pourquoi cette famille avait rejoint l'Ordre de St Emmeline dès que l’occasion s’était présentée.
Lorsque ce couple prit la décision d’avoir un enfant, il ne fallu pas longtemps avant d’apprendre que madame Cente était enceinte, quelques semaines, tout au plus. Leur premier enfant. Le seul qu’ils désiraient avoir. Tout se passait très bien pendant la grossesse, celle-ci était heureuse et huit mois et demi plus tard, un petit être à la peau pâle et aux yeux sombres faisait son apparition au sein de la nouvelle famille, dans les cris de bébé et les pleurs de joie des parents.
« Ça sera Élix… »
Murmurait Lana Cente en caressant la joue pâle de son nouveau né avec un sourire doté d’une tendresse maternelle qu’elle ne se connaissait pas. Non pas qu’il s’agissait d’une femme froide, bien au contraire, mais plutôt d’une femme pleine de doutes sur ses qualités de mère. Mais elle était prête à apprendre pour ce petit garçon que leur amour avait créé.
Le petit Élix se retrouvait à grandir entouré d’attention et d’affection. Il ne comprenait pas vraiment la différence qu’il y avait entre les personnes dotées de pouvoir ou non, l’innocence enfantine lui faisait voir simplement des boulangers, des artisans, des enfants là où ses aînés voyaient des différences de mérite, des impurs ou des extrémistes.
D’ailleurs, en parlant de voir, c’est une jolie paire de lunettes rondes qui s’était rapidement déposée sur son nez d’enfant. Son manque d’équilibre et de justesse dans ses prises de jouets avait alerté les adultes qui l’entouraient et le problème avait vite trouvé une solution. Quand on était l’enfant chéri et unique de deux parents attentifs, il y avait peu de chances qu’un tel problème leur échappe.
Les années passaient, la marche à quatre pattes devenait rapidement une course plus qu’une simple marche bipède. Il ne s’arrêtait plus. Même rendu à l’école, l’énergie qui débordait de ce petit garçon semblait sans limite. Les rires fusaient autour de lui, les jeux s’enchaînaient. Élix n’était pas un enfant calme, il avait besoin de se dépenser mais pour autant, un sourire lui permettait de faire accepter aux adultes tout ce qu’il voulait. C’est qu’il apprenait à charmer et séduire le petit… Par contre dès qu’il s’arrêtait dans ses jeux, se posait après avoir vidé sa barre d’énergie, Morphée venait lui tapoter l’épaule pour le rappeler à l’ordre et le garder un peu auprès de lui.
Qui dit école, dit aussi ami, celui-ci n’en manquait pas mais son dévolu s’était jeté sur un autre brun, d’abord interloqué par sa beauté, il avait finit par l’aborder avec un sourire fier et toute l’assurance de l’enfant de quatre ans qu’il était, les poings serrés posés sur ses hanches.
« Je suis Elix ! Et toi et moi on va devenir supers copains ! Ok ? »
Pour sceller cette demande très officielle, il avait serré la main de l’autre garçon et ne l’avait depuis plus lâché. Cyriacus entrait ce jour là dans sa vie. Grandissant à ses côtés, jouant à tous ses jeux d’aventurier avec lui et partageant les bonbons qui leur servait de trésor, il était le petit garçon le plus heureux du monde.
Le temps filait sur Azuola, les années coulaient et la complicité qui unissait ces deux êtres s’intensifiait de plus en plus. Peut-être plus d’un côté que de l’autre. Souvent, celui aux lunettes anciennement rondes se surprenait à regarder son meilleur ami et une drôle de sensation se logeait au creux de son ventre. Il savait très bien ce que c’était, il avait finit par comprendre avec le temps, mais il voyait aussi que c’était le seul qui en avait envie, qui voulait venir lui prendre la main, qui le regardait de cette façon et se sentait rougir de honte quand il se faisait surprendre à agir de la sorte. Non, il n’avait pas envie de perdre son meilleur ami de toujours, alors il forçait son intérêt pour les filles, enchaînant les conquêtes, volait plusieurs premiers bisous. Se confortant dans ses jeux et une taquinerie qui le protégeait de ses sentiments. Pas un seul instant pourtant il ne cherchait à s’éloigner du brun qui l’accompagnait depuis ses quatre ans pour faire taire ce qui grandissait en lui. Tout d’abord parce qu’il n’en était pas capable et ensuite parce qu’il se faisait un devoir de toujours être à ses côtés et de lui rendre le sourire quand sa famille se montrait encore trop exigeante envers lui. Ce qui n’était pas rare quand on connaissait les Oswald.
18 ans. Une vie facile jusque là mais qui se corsait avec le temps. S'il comprenait désormais les enjeux des différentes organisations sans nécessairement s'en préoccuper -préférant s'amuser de ses illusions et de ses papillons- la faction Ste Emeline n'avait pas tardé pour le mettre à contribution. Il lui avait fallu malgré tout remplir ses fonctions, conformément à l'esprit de l'Ordre et de ses exigences. Chaque profil devait être à sa place et chaque compétence utile était inscrite dans le schéma des grandes convictions de cette organisation qui cherchait à détruire les humains. Alors il participait à des complots, mettant en œuvre ses illusions pour obtenir des informations en se faisant passer pour un ami ou un proche. Ses papillons servaient de mouchards afin de récolter le plus de données -notamment sur l'Eglise Blanche. Un pouvoir très pratique quand il s'agissait de duper son univers et cela, l'Ordre l'avait bien saisi contrairement au détenteur, encore naïf de ces actions à la portée pourtant destructrice. Mais il ne tarderait pas à le comprendre.
Ce matin là, il avait rendez-vous avec des amis pour passer la journée avec eux. Ce matin là, ça devait être le commencement d’une belle journée. Une tranquille, comme beaucoup d’autres. Mais il n’avait pas eu le temps de passer la porte qu’on l’avait plaqué contre un mur. Il n’avait pas eu le temps de comprendre ce qu’il lui arrivait que ses pieds ne touchaient plus le sol. Il n’avait pas eu le temps de crier de peur qu’il n’avait rien fait que ses lunettes s’étaient retrouvées écrasées sous une semelle dure et lui arraché de sa maison.
Il y avait des jours qui passaient. Des semaines qui filaient entre ses doigts et du sang qui séchait sur son corps. Son sang.
Une respiration faible, des larmes de douleur qui n’arrivaient plus à couler mais qui avaient laissé de longs sillons sur ses joues. Ça posait des questions face à lui qui arrivait à peine à distinguer le visage et au manque de réponse évident, ça venait briser de nouveau un doigt, ça plantait plus fort la couronne et le collier de barbelés dans sa peau, ça arrachait des lambeaux de peau. Ça punissait de cette inutilité.
Dans ses courts moments de répit, ses sanglots remplissaient la salle où on l’abandonnait dans ses déjections et sa souffrance, mais il se consolait, il y avait un endroit où la douleur elle n’existait plus. Un seul. Cette chose qu’ils ne pourraient pas lui enlever. Son pouvoir lui servait de maigre réconfort mais rapidement, il perdait la force, l’énergie et la volonté. Ces trois choses qui le faisaient sombrer jusqu’à entendre un jour une voix. Une faible lueur dans ses délires de cerveau qui perdait complètement pied.
« Elix… »
Cyriacus ? Sa tête se relevait. Il ne savait plus combien de temps était passé. Il ne savait même plus tout ce qui lui était arrivé tellement il avait passé d’heures privé de tout. Mais ce son avait suffit à donner une volonté au jeune adulte, celle de survire à son calvaire. La flamme éteinte depuis trop longtemps s’était rallumée, mais d’une amertume et d’une hargne de survire. Pas de sourire charmeur pour son bourreau, mais l’illusion parfaite que face à lui, se trouvait sa fille et non le fils de la famille Cente. Il se faisait libérer par l’homme et sous une nouvelle espièglerie, c’était enfin la lumière du jour qui passait sous ses iris devenues jaunes. La liberté…
Quelque chose avait changé en lui. La violence qu’avait subit celui à la peau désormais mate avait brisé cet enfant insouciant pour laisser la place à un adulte brisé et déterminé à faire tomber ses tortionnaires. Tout ce qui s’était produit était de leur faute. Cette douleur dans chaque cellule de son organisme, elle venait d’eux. D’eux et de leur guerre de clans, de ces disputes dignes d’enfants capricieux et qui pourtant détruisaient des vies sur leur passage. Tout ça devait disparaître. L’envie de mettre cet endroit à feu et à sang commençait à ronger ses entrailles sous des envies de vengeance. À combien de personnes avaient-ils fait subir ces tortures ?
Ses jambes douloureuses avaient essayé de le porter aussi loin que possible, courant dans des sons qui trahissaient une douleur, faisant chuter le corps et cogner ses genoux contre le macadam. L’énergie elle n’était presque plus présente, la seule chose qui le tenait debout, c’était cette rage de vivre. Dans sa course, il ne faisait même plus attention à ce qui l’entourait, ni à ce regard qui suivait la fuite pitoyable de celui qui avait désormais 19 ans. Parce que cela faisait une année entière qu’il n’avait pas vu les rayons du soleil.
Ses pas n’avaient pas de but, sa carcasse abîmée finissait par s’échouer contre un arbre alors qu’il tremblait de tout son saoul jusqu’à ce que quelque chose apparaisse. Quelqu’un. Alors que son muscle cardiaque commençait à s’affoler, paniqué de retourner entre ces murs sombre, un sentiment d’apaisement s’était logé dans le creux de son ventre et une main inconnue déposée sur son épaule.
« Je vais t’aider, n’ai pas peur. »
Même si la méfiance était présente, il s’était retrouvé à suivre cet être en qui toute sa confiance s’abandonnait sans savoir pourquoi. Il apprendra plus tard que c’était son pouvoir. Il s’agissait d’un homme qui appartenait à l’Etoile Rouge. Un espion plus précisément qui surveillait cette zone depuis quelques temps et rien de l’évasion ne lui avait échappé. En constatant les capacités du cadet et l’étendu qu’elles pouvaient avoir, il ne lui fallu pas longtemps pour l’embarquer dans cette organisation, les mots d’Elix le confortant dans son choix :
« Je veux tous les détruire. »
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« - Qu’est-ce que tu fais là, Élix ? »
« - Hm ? Rien d’important. »
Déviant ses iris de ce visage qui avait prit en maturité avec les années, l’adulte écrasait sa clope et se relevait avec souplesse. S’éloignant pas à pas de ce perchoir d’où une frange brune ne se savait pas observée, alors qu’un papillon violet restait posé sur son rocher.
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