Histoire
Noss est né en Angleterre, dans la première moitié du 19e siècle. Il a grandi sous Londres, au sein d’une petite communauté qui vivait cachés, sous les égouts, dans d’anciennes ruines romaines et médiévales. On y trouvait tout ce qui avait pu effleurer ou marquer les gens qui avaient vécu ici – pour n’en citer que quelques-uns : des fées, un ou deux vampires que l’épidémie de gin avait définitivement convaincu du bien-fondé de l’abstinence, une tribu d’hommes-lézard, le vieux Chuck, bien sûr, qui était venu prendre sa retraite chez son cousin, le Roi des Chats (il n’y avait que lui-même qui se considérait roi, mais on le laissait dire), deux dizaines de lutins dont l’allergie au trèfle avait forcé la migration, quelques changelins et une famille de rats (les humains les appelaient skaven, eux préféraient ratfolk, merci beaucoup).
Le tout était dirigé, par un vieux dragon -dont le nom est bien sûr un secret- qui avait mangé un noble, dans son temps. Mais l’armure avait provoqué une hernie et avait sonné la retraite anticipée du reptile.
En pratique, on connaissait son rôle depuis si longtemps qu’il n’y avait que rarement besoin d’intervenir. Quand il y avait besoin de remonter à la surface, on restait soigneusement dans les du côté de l’East End, Westminster ou White Chapel : les fées piquaient les morveux pas sages, le Roi des Chats hurlait sur les toits, Chuck trainait dans les cimetières et les rats se faisaient apercevoir dans les rues, si par chance, il y avait une épidémie. Généralement, les humains effrayés décampaient et les rats les plus jeunes pouvaient alors « nettoyer » derrière les humains.
Encore plus chanceux, c’était aussi assez souvent que les humains s’affrontaient entre eux pour finir entretués ou pris par la police. Il n’y avait littéralement plus qu’à se servir :
Noss et ses cousins récupéraient alors tout ce qui avait un tant soit peu de valeur ou se mangeait. Lui-même était particulièrement doué pour repérer les objets de valeur : c’était simple il sentait quand il avait quelque chose de spécial entre les pattes. L’objet émanait quelque chose : un artisan de génie laissait toujours quelque chose sur son chef-d’œuvre et un objet bien utilisé finissait par acquérir une certaine… Personnalité.
Pendant un passage dans une maison d’opium vidée, Noss avait une fois trouvé un violon. En tant que joueur amateur, lui-même, il avait reconnu un bel objet mais celui-là n’avait rien à voir avec son instrument bricolé. En caressant le bois verni, il avait ressenti une anxiété joyeuse : le trac avant un spectacle majeur. Et en même temps, une certitude et une confiance en lui qui ne venaient certainement pas de sa vie passée dans les souterrains. Il pouvait presque goûter le champagne sur sa langue, voir les montagnes de pièces d’or et… le rat s’était alors mis à éternuer tellement fort et pendant si longtemps que ses oreilles en avaient sifflé.
Et puis plus rien.
Le violon était toujours aussi beau, le bois verni reflétait la lueur dorée des bougies et Noss l’avait donc simplement attrapé, glissé dans son manteau et emmené sous terre. Il parait qu’un violoniste célèbre était en ville à l’époque.
Sous un des lits, un couteau en argent brillant émanait quelque chose de froid et de malaisant. En l’effleurant, Noss sentait le sang, la bière, le parfum, la pisse et la peur. Les objets comme ça, il préférait ne pas les prendre. Même s’ils valaient cher.
Et puis les grands travaux d’assainissement et la construction du métro changèrent tout ça.
Au départ, les anciens -et le dragon d’abord- estimèrent qu’il n’y avait aucun risque que les humains viennent creuser dans leur coin et que rien ne changerait. Noss écouta les discussions silencieusement : il n’avait pas le droit d’intervenir, n’étant ni assez vieux, ni assez important. Mais le skaven était inquiet : généralement, quand les humains commençaient quelque chose, ce n’était pas pour s’arrêter à la moitié du chemin. Il n’y avait qu’à voir ce qui s’était passé avec la Cour des Fées, en Irlande.
Mais les changements arrivèrent assez rapidement : des lutins rapportèrent des traces d’intrusion, à moins d’un mile de leur ville. Puis, à l’horreur générale, quelqu’un se présenta aux portes de la ville. Un humain étonnamment calme, pas du tout comme ceux que Noss avait l’habitude d’apercevoir. Il se présenta comme un professeur et, après avoir été admis devant les anciens, expliqua qu’il prenait tout le monde sous sa protection, ne demandant en retour qu’une obéissance absolue.
Noss n’oubliera jamais la manière dont l’homme, à lui seul, parvint à tuer à la fois le dragon et Chuck. Il n’oubliera pas non plus de quel manière le Roi des Chats se tenait aux côtés de l’humain. Ni comment lui-même, toute honte bue, préféra courber la tête et obéir, plutôt que de se révolter.
Le skaven ne revit pas l’homme avant la fin. Mais il sentait tous les jours la mainmise de celui-ci sur sa vie. Les jobs changèrent, et les gens qu’il connaissait aussi. Ses cousins et les hommes-lézards furent envoyés sur des missions dont ils revenaient avec ses blessures, en riant ou parfois pas du tout.
Lui-même fut chargé de s’introduire dans des endroits qu’il n’aurait jamais osé visiter : les quartiers respectables, où il devait simplement se poster à un endroit précis hors de vue, guetter et rapporter les agissements d’un homme en particulier - un collègue violoniste ! - qui partageait une maison avec deux autres personnes et semblait bien plus respectable que beaucoup d’humains qu’il avait pu observer.
Parfois c’étaient des vols dans des endroits bien spécifiques : musées, manoirs loin dans la campagne, collections privées occultes, … Il devait authentifier des artefacts authentiques, parfois jusqu’à avoir des crises d’éternuements et des migraines telles qu’il n’était plus bon à rien pendant plusieurs heures, après coup. Et c’étaient toujours des objets étranges et terrifiants, des livres liés à des rituels que son esprit n’osait pas comprendre. Il se rappelle particulièrement d’une statue d’argile verdâtre horrible et sublime, représentant un monstre vaguement anthropoïde, le plongea dans un état de démence et lui donna des cauchemars pendant des mois, après.
Parfois encore, il rêve du bruit des tam-tams, d’odeur d’iode et de décomposition et d’une ville qu’il n’ose pas nommer.
Clairement, leur nouveau maître cherchait quelque chose -et quoi que ce soit, Noss priait pour qu’il échoue à le trouver.
Quelqu’un dû entendre ses prières, là-haut. Mais le quelqu’un avait également un humour que Noss n’appréciait pas du tout. Le skaven avait été recruté pour participer à l’accomplissement du grand-œuvre de son maître, et celui-ci était bien proche de réussir, quand le collègue violoniste et le colocataire de celui-ci débarquèrent !
Une lutte s’en suivit, au cours de laquelle Noss perdit plusieurs cousins (qu’il ne reconnaissait plus, tant ils avaient cédé à leur plus mauvaise nature). Il se rappelle encore que le professeur se tourna vers lui, l’air fou, plus rien à voir avec son apparence soignée, et lui ordonna, main tendue et d’une voix stridente :
« Une arme ! Vite ! »
L’arme qu’il lui tendit avant de déguerpir (il le savait, il la connaissait bien) ne fonctionnait jamais du premier coup. C’est ce qui signa la fin de son maître. Quand il se retourna, après avoir mis une bonne distance entre lui et ces humains, le professeur était au bord d’un à-pic souterrain, d’où coulait une cascade, pendant que ses adversaires se rapprochaient.
Il ne resta pas plus longtemps et déguerpit, avec les quelques amis qui lui restaient, pour annoncer la fin du maître, en ville.
Il fallut faire un choix : fuir plus profond ou fuir ailleurs. A Azuola. Pour Noss, échanger le noir humide, le Fog londonien et les cauchemars sans nom, contre ce qu’il imaginait être un paradis sur terre était une évidence. Avec la majeure partie de sa communauté, ils réussirent à affréter un petit bâteau pour les mener aux rives de l’île.
On vous passera un voyage aussi long que dangereux, qui comportait un capitaine véreux, un affrontement à bord et une baleine.
Ce qui compte, ce que Noss finit par arriver et décida bien rapidement d’ouvrir une boutique bien à lui. Une échoppe pas plus grande que ça, dans une rue propre et saine.
Le panneau au-dessus signale : « Noss’ emporium est. 1864 ». La vitrine est constamment encombrée de bric-à-brac, tout comme les étagères mais tout est ciré, lustré, briqué à en briller. L’endroit est rarement ouvert et tous ceux qui y viennent le fond pour se débarrasser d’un objet ou venir en prendre un autre (si le propriétaire sent que l’objet est fait pour vous).
Au fond, derrière le grand comptoir en bois, on trouve généralement Noss lui-même, entre une lampe et la caisse enregistreuse, est occupé à réparer quelque chose, une tasse de thé à portée.