Histoire
Première partie - La balance du cœur
D’une pression à gauche, d’une seconde à droite, la balance vacille de gauche à droite sous le regard hypnotisé du bras droit du Pontife. Dingue à quel point, ce simple objet décoratif - et à son goût - avait eu, pendant un temps, une place si importante dans sa perception d’elle-même. Pendant des millénaires, elle ne s’était vue qu'à travers le prisme d’un simple poids, elle ne se définissait qu’à travers ça. Elle n’était rien de plus que l’instrument de cet objet. La main qui lui permettait alors de sévir. Cela lui allait alors parfaitement, elle se sentait indispensable et irremplaçable. Qui aurait pu mettre Âmmout, mangeuse de cœur, hors d’état de nuire ?
Personne. C’était tous les jours, à chaque heure, à chaque minute et même à chaque seconde, la même rengaine. Le temps n’avait alors aucun intérêt pour elle, il ne concernait que les humains qu’elle rencontrait et leurs nombres. Même lui, le temps, n’avait finalement aucun effet sur elle. Pourquoi l’aurait-elle redouté ? Ils étaient après tout confrères.
Elle se revoit, intraitable, poser la plume de mâat d’un côté - toujours du côté gauche - et ensuite, méthodiquement, celui du cœur du défunt - du côté droit. Elle ressemblait à celle-ci, tout en or, englobant de son aura toute personne à proximité. A chaque défunt, une nouvelle réaction. Elle avait tout vu passer : du fœtus, au nourrisson, à l’enfant, à l’adolescent et enfin à l’adulte dans toutes les étapes de vie possible. Elle prenait dans ses bras le nourrisson pas encore apte à avancer vers l’après, elle donnait sa main à l’enfant qui avait peur, elle rigolait un moment avec l’adolescent en panique et elle clignait des yeux favorablement à l’adulte qui le méritait. Pour autant, lorsque les péchés du cœur du défunt étaient trop imposants pour s’élever, elle ne ressentait aucun remord à le saisir de ses mains griffues pour l’anéantir au creux de son ventre de la surface du monde. Elle ne pouvait pas témoigner d’en avoir pris un quelconque plaisir à un moment ou à un autre de son existence, c’était juste son devoir, elle devait donc l’accomplir sans faillir, ni hésiter.
Elle était alors Âmmout, responsable de la pesée du cœur et dévoreuse de l’âme des humains jugés indignes pour continuer dans l’au-delà.
Deuxième partie - La chute d’Âmmout
D’un coup d’orteil experts, Âmmout retire ses escarpins tout en regardant dans sa petite cave ce qu’elle allait se mettre dans le gosier ce soir-là. Elle n’avait pas spécialement eu une journée éreintante, elle n’avait donc pas besoin de sortir l’une de ses meilleures bouteilles mais elle avait ouvert ce blanc la veille et il fallait bien le terminer avant qu’il ne perde tous ses arômes. Oui c’était une bonne décision, on évitait de gaspiller ce qui pouvait ne pas l’être.
Elle se sert un verre sans en faire tomber une goutte à côté, l'hume doucement, fait tourner le liquide dans sa prison de cristal avant de le goûter. Oui, il fallait le finir ce soir si elle voulait encore en profiter. Elle se laisse tomber dans son océan de coussin qui lui sert de canapé tout en regardant par la fenêtre. Amatrice de bon vin, elle en avait fait la découverte au moment le moins propice de son existence terrestre mais, elle avait su depuis se rattraper malgré les difficultés de route. L’Egypte connaissait une période prospère depuis trop longtemps pour que cela ne dure éternellement et ça, Âmmout, caché dans son “sas” de l’au-delà et sa dévotion pour la protection du “mâat”, n’en avait pas pris conscience.
Elle savait que chaque continent avait sa part de dieu pour les accompagner dans leur vie et dans leur mort, c’était un fait qu’on prenait en compte rapidement le temps du partage d’information et puis après, on retournait à nos petits moutons - ou dans son cas, à ses cœurs. Chacun prenait soin de sa zone et évitait alors de s’empiéter dessus. Il ne lui semblait pas, en tout cas, elle n’en avait pas le souvenir, qu’un édit ou un traité n'ait eu besoin de statuer là-dessus. C’était somme toute logique, et avoir les yeux plus gros le ventre, n’intéressait pas Âmmout. Elle avait déjà bien assez à becter ! Et pourtant les hommes eux, étaient avides. Ils étaient avides de pouvoir, de richesse et de réussite. Les dommages n'importaient peu, leur présence sur la terre étaient si éphémères qu’ils ne voyaient les bénéfices du moment présent qu’en omettant les difficultés de l’avenir.
Ainsi, la conquête de l’Egypte a commencé à affaiblir sur ce territoire la position des dieux égyptiens. Au début, personne ne se faisait de soucis, ébloui par la beauté de la région, les romains étaient prêts à se plier en quatre et aux croyances locales sans aucune forme de rébellion. Elle avait été si sotte de ne pas réfléchir, elle-aussi de son côté, aux conséquences des conquêtes. Elle eut de moins en moins de monde devant sa porte, elle voyait de loin les dérives que cela pouvait engendrer. En effet, dans une conversion de religion, la suivante prend du temps à s’installer. Cela pourrait donc induire des dérives sans précédent. Mais finalement, Ammout n’en avait qu’en partie conscience, elle se cachait derrière des belles paroles alors que son âme flambait de colère.
Cela faisait des millénaires qu’elle se dévouait corps et âmes à la tâche qui lui avait été incombée pour aujourd’hui être oubliée des mémoires. Elle se retrouvait finalement dépouiller de ses offrandes - même si elle en avait pour la plupart du temps pas l’utilité - et son existence habituée au labeur, à l’or et aux privilèges devait s’habituer à une vie somme toute banale, sans rien à accomplir, sans but pour avancer… et ce cocktail ténébreux d’augures pensées finit par lui noircit peu à peu le cœur.
Partie 3 : Tout n’est qu’une question de “temps”
Assise sur les marches de sa terrasse, Âmmout repense à sa période – si longue – d’errance qui avait succédé à l’empire égyptien. Cachée sous ses nombreux manteaux qui l’avait suivi à travers l’histoire, la déesse avait commencé à parcourir le monde l’âme en peine. Sa rancœur, sa colère, sa honte la suivait comme une ombre menaçante que nul homme ou dieu ne souhaitait apprivoiser. Son temps était révolu et nul ne craignait dorénavant de rencontrer Âmmout la dévoreuse de cœur.
La déesse ruminait, encore et encore, pointait du doigt les dieux gourmands qui avait accepté, voir peut-être même décidé, de régner sur plus de territoire en omettant les dérives que cela pourrait entrainer. Des dérives, l’histoire le démontra, il y en eu beaucoup. C’était cela avoir les yeux plus gros que le ventre. Si on attendait de la pitié de sa part c’était vraiment très mal la connaitre. Elle ne souhaitait même plus être confronté à tout cela. Les hommes avaient également décidé de ne plus croire en eux, grand bien leur fasse mais, qu’on évite de lui faire des yeux doux de quémande à son passage lorsque l’un de ses tatouages d’or se faisait sentir.
Il est tout de même important de souligner que sa chute n’avait pas non plus entrainer une perte totale de toutes ses possessions. Il arriva, de temps à autres, que des âmes en perdition s’approche d’un peu trop près ou tente, par avarice, de l’attaquer. Les routes ne sont – en règle générale – pas sûr pour une femme solitaire.
Ainsi, Âmmout parcourait le monde, jugeait de très loin ou de très près des événements qu’elle trouvait évitable, tout en se perdant dans un engrenage permanant de défaitisme. A ce moment-là, l’avenir de la déesse n’avait pas d’autres options que d’attendre. Attendre quoi ? Elle n’en savait rien. Elle marchait tout simplement quand elle fit la rencontre d’une personne clé dans sa vie à l’heure actuelle : Kairos. Moment marquant dans sa vie, bizarrement flouté par les années, elle se souvenait juste de l’avoir rencontré dans un moment de noirceur et de solitude équivoque à Circée sur son île quand il s’était présenté à elle. En tout cas, on pouvait dire qu’il était tombé tout droit du ciel. Et malgré la colère d’avoir vu des dieux prendre trop de place dans le monde, Âmmout avait pris le temps de laisser un moment à cet être avant de le juger. Elle trouvait même ça très drôle que le dieu grec du temps croise sa route.
Dans les faits, ça n’avait été qu’une simple conversation. Une conversation autour du monde, de leur rôle dans celui-ci, de l’évolution des religions, des cultures et bien d’autre encore. C’était pour elle une parenthèse qu’elle apprécia fortement. Pour conclure leur échange, tout en sachant qu’ils ne se verraient pas de sitôt Kairos lui dit quelques mots qui la marqua à vie… et qui l’a conduit, en le retrouvant ici, à le suivre les yeux fermés.
« Chaque geste de chaque être vivant contribue inévitablement à un événement qui se produira. Même ceux qui œuvrent contre cet avenir travaillent activement, et bien malgré eux, à sa pleine réalisation. Rien n'arrive par simple chance ou hasard. Tout est calculé, tout est programmé, et tout est inéluctable. Ton ère est peut-être achevée, Âmmout, néanmoins le temps te montrera que le but de ton existence n’est pas encore accompli.»
Partie 4 : Âmmout – bras droit du Pontife
Dans son errance sur terre, Âmmout appris à profiter du moment présent terrestre. L’être humain dans toute sa complexité avait réussi à imaginer, à créer et à utiliser les éléments du monde avec génie. La déesse flânait de ville en ville, apprenait, se cachait, découvrait et partait aux grès des années, des décennies et des époques.
Elle rencontra bon nombre d’être humain qui aurait mérité d’arpentait la terre à ses côtés, que cela soit pour leur qualité mentale comme physique. La plupart avait le cœur juste mais, la vie rude. La déesse éternelle ne pouvait jamais rester longtemps au même endroit et si les au revoir pouvait être parfois déchirant, elle ne regrettait pas pour autant sa volonté de vivre à leur côté. Elle profita des guerres – courante – pour s’en aller. Il lui arrivait de rester pour défendre des femmes pris aux pièges dans des sièges, pour combattre cachait auprès d’homme dont la cause lui semblait noble mais, cela indiquait alors pour elle qu’elle allait partir. Prendre une arme, elle savait faire, se battre, elle savait faire, et c’était une époque bien trop machisme pour accepter et entrevoir une femme capable de se défendre. En commettant l’acte de tuer d’une arme, elle savait qu’elle devait « mourir » en retour pour garder l’équilibre des choses.
Il y eut tellement de massacre évitable pour lesquels elle resta en retrait. Elle regardait au loin le monde partir en flamme tout en sachant qu’il s’aurait renaitre demain. C’était ça la magie des hommes et les dieux là-dedans n’avait alors que le rôle de spectateur. Elle tomba amoureuse d’homme et de femme digne, qui ne sut jamais qu’ils avaient en face d’eux une déesse égyptienne qui attendait l’heure promise par Kairos. Elle partait toujours.
Elle connut un décès tragique d’une personne aimée qui lui fit comprendre qu’elle n’allait pas tarder à reprendre du service. Elle s’appelait « Alice » et avait été condamné à bruler sur le bûcher pour être une sorcière. Âmmout était parti aux petits matins lui cherchait des herbes médicinales bénéfique dans son emploi de sage-femme et quand elle était rentrée en fin de journée, elle n’était plus. Sa colère était grande et il eut plus d’un mort cette journée là que prévu.
Elle était à cheval, somnolente quand l’appel de Shën lui parvint. Elle ne savait pas ce qui l’attendait dans cette contrée qu’il leur promettait mais, cela deviendrait une nouvelle aventure qu’elle accepta de bon cœur. Quand elle arriva à Azuola… elle haussa d’un sourcil. C’était l’anarchie. Toutes ses années, Âmmout avait attendu son heure. Une heure où elle saurait être utile pour une cause qui en valait la peine et ceux, tout en gardant, sa véritable identité. La quête de prise de pouvoir des êtres surnaturels qui peuplait les contes et les cauchemars des êtres humains, se battaient dorénavant ici. C’était ridicule.
C’est dans ce contexte qu’elle revit un homme qui avait su marquer son histoire d’une simple conversation. Kairos. Un simple échange de regard suffit pour qu’ils se reconnaissent et c’est en fermant les yeux, le cœur gonflait de confiance, qu’Âmmout apporta son soutien indéfectible au Pontife. Ils partageaient tous les deux une existence très longue, parsemaient de leçon de vie rude et ils ne se voyaient pas laisser l’anarchie régner sur cet endroit. Non à la recherche de gloire véritable et ultime, Âmmout se contenta parfaitement d’être son bras droit. Elle sentait même au fond d’elle-même qu’elle était faite pour cela et que son heure était arrivée. Elle était à ses côtés pour lutter contre l’anarchie, à ses côtés quand il rencontra sa femme et eut une enfant charmante à ses côtés, elle était aussi à ses côtés quand elle décéda tragiquement et elle resterait donc à ses côtés – dans l’ombre comme dans la lumière – pour éviter que des « foufous » se croient tout permis.