Il y a bien longtemps, je m’éveillais au monde des esprits auprès de mon créateur, celui que les humains appelait Tsukuyomi, le Dieu de la lune. Même si du dieu, il n’en avait que le nom. Je n’ai jamais véritablement sû qui il était vraiment. Seul un sentiment subsiste, celui d’un profond attachement et d’un amour inconditionnel. Mon créateur nous aima tous, chacun des esprits qu’il mit au monde. Et auprès de ceux qu’il souhaitait me voir appeler frère et sœur, j’apprenais quel était mon rôle dans ce nouveau monde.
J’étais Kitsune, ainsi les Hommes me nommèrent. Esprit renard, esprit de la lune, je devenais le messager d’Inari, mon créateur. Je ne suis plus tellement sûr d’où je viens exactement, mais je venais de ce continent qui s’appelait “l’Asie”. Et, dès lors que les Hommes commençaient à s’approprier un langage et une culture, je descendais auprès d’eux pour leur apporter conseil.
Ainsi était mon devoir, celui de veiller sur les humains. Mais je n’étais ni protecteur ni destructeur. Je n’étais là que pour leur montrer la voie, que ça soit pour les remettre sur le droits chemins, ou pour les punir d’avoir emprunté le mauvais en tout conscience. Mes premiers millénaires, je les ai vécues sous forme de renard. C’est dans cette période qu’on me donna le nom de “Kitsune”, qui signifiait “toujours jaune”, et longtemps, la figure de cette jolie bête fut associée à un messager.
Lorsque l’ère Edo débuta, un sentiment de méfiance gagna les Hommes, toujours en proie à la tromperie et à leur propre faute. La figure qu’incarnait le Kitsune devint synonyme de mauvais augure, de malice, de cupidité et de malveillance. Faire un pacte avec un Kitsune revenait à faire un pacte avec le diable. La confiance n’avait plus sa place auprès des hommes, et celle que je leur accordait disparue avec la leur.
En voyant le monde des hommes petits à petits évolué tout en régressant dans leur moeurs, je trouvais là un nouveau but dans mission. Certains hommes se plaisaient à maltraiter les plus faibles sous pouvoir de leur nouvelle richesse. Et c’est par cette richesse que je m’inserrais à nouveau dans leur vie sous la forme de deux perles qui représentaient mes yeux.
Les deux perles voyagèrent à travers le pays, pendant des décennies. Les femmes de la noblesse s’en ornait pour montrer toujours plus leur importance aux yeux du monde, et surtout attiser ou provoquer la jalousie des plus pauvres. Et lorsque mes proies s’approchaient, il ne m’était plus si compliqué d’agir. Un simple murmure, un simple conseil souffler au creux des oreilles de ces dames, et leur corps devenait mien l’espace de quelques instants, envoûté par le chant muet que seules elles pouvaient entendre.
Il n’était plus si difficile pour moi de punir la cupidité des plus riches et les fanfaronnades de ceux qui se faisaient appeler roturiers. Vaincus par la jalousie, ceux-ci se laissaient trop souvent abuser par cette même richesse qu’ils convoitaient ardemment, et ils tombaient dans le même panier que les riches punis. Voyant la tendance continuer, et aucun changement s’opérer, je me décidais à une chose, cent années plus tard.
Je fis ma première apparence en tant que mi-homme dans le rêve d’une noble dame, qui possédait mes perles. Bien sûr, tout ça n’avait rien d’un rêve mais l’esprit des humains avait ce petit quelque chose qui leur permettait toujours de se protéger des choses inexplicables. Ils se créaient des raisons, des réponses, plausibles, pour mieux expliquer les phénomènes trop étranges autour d’eux. Et cela durait depuis la nuit des temps.
Ma nouvelle approche eut plus de succès auprès des nobles dames qui se laissaient totalement subjuguées par mon apparence et charmées par mon regard enjôleur. Et dès lors, quand elles fussent sous mon contrôle, il était simple pour moi de les inciter à la rédemption : dévoiler les pots-aux-vins, rendre l’argent à qui il a été volé, partager sa nourriture aux orphelins…  
Je n’apparaissais que la nuit, lorsque les humains se perdaient dans les fantasmes de leur rêve, distinguant dans les ombres de la lune des formes extraordinaires… là où il n’y avait rien. Leur imaginaire était aux plus haut, aussi les inviter à m’observer sous forme mi-humain était toujours mieux accueillie. Les années passaient et j’accomplissais ma mission, en faisant des promesses, en recevant des récompenses, en faisant des pactes qui, s’ils n’étaient pas accomplis, étaient punies. Les humains, face à la menace, étaient toujours plus enclins à répondre favorablement.
Étant kitsune, je remboursais toujours mes dettes. Et un beau jour, un sorcier vint à moi pour m’offrir un pacte. Il éradiquera d’un village l’ombre d’un monstre qui planait en échange de l’utilisation de mes pouvoirs le temps d’un acte de sa part. N’étant pas fait pour tuer, le sorcier venait à point nommé. Je fis ce jour-là la plus grosse erreur de ma vie.
Le sorcier revint reprendre son dû, après avoir éliminé l’ombre qui martyrisait le village, et je me transformais en perle pour lui offrir une seule fois mon pouvoir. Il s’en alla, s’ornant des mes perles sur un collier, et retourna au village. Et là-bas, il tua toute âme qui vit. Je ne comprenais pas tout de suite son acte, ni même la raison. Mais lorsque je voulais me libérer, j’étais piégé. Le sorcier m’avait enfermé dans ma forme de perle, une forme dans laquelle je n’étais plus qu’un spectateur dont les pouvoirs étaient aspirés contre ma volonté.
Et je compris que le sorcier avait été payé par un des nobles victimes de mes farces, ce même village qui avait reçu en don la moitié de sa fortune de la part de sa femme envoûtée. Femme, désormais, morte, étendue au sol, égorgée. Et le noble paya gracieusement le sorcier pour l’avoir libéré de ce village de voleur, et avoir récupéré ses gains.
Pour la toute première fois depuis que j’avais ouvert les yeux sur mon existence, j’avais peur.
Enfermé ainsi, je ne pus qu’attendre désespérément que le sorcier daigne me libérer. Cinquante année passèrent où la malveillance de ce sorcier déplora mon nom et mon être, rendant hommage à tous les mauvais sorts qui était désormais associés au Kitsune. La mort que provoquait le sorcier n’avait plus qu’une seule raison : c’est la faute du Kitsune. Et mon nom fut meurtrie, lapidé… Jusqu’à ce que ces histoires attirent un chasseur de monstre. Il s’attaqua au sorcier et gagna, le tuant d’un coup de lame. C’était un samuraï.
Les perles qui l’ornaient tombaient au sol et je fus enfin libéré. Mais en levant les yeux vers le samuraï, celui-ci m’attaqua. Par ses paroles, je compris la méprise : “Tu as obligé cet homme, Kitsune de malheur, tu l’as obligé à tuer tous ces gens”. Et comment pouvais-je m’en défendre ? Le chasseur de monstre cherchait un monstre, et il en avait un juste sous les yeux.
Je tentais de fuir mais le chasseur de monstre avait l’artefact d’un sorcier, et il l’utilisa pour me maudire avant ma fuite. Le mal s'insinua dans tous les pores de ma peau, me grignotant de l’intérieur, petit à petit. Je me cachais au plus profond d’une forêt, sous forme de renard, et attendais. Mais la douleur de cette malédiction était insupportable. Je la sentais, la mort, s’approcher à petit pas vers moi. J’allais mourir et j’étais rongé de désespoir. Je ne voulais pas mourir…
Les années passant, je ne trouvais plus le sommeil. Jusqu’à ce que mon esprit m’échappe, et que mon corps ne réponde plus. Je m’évanouissais et je n’étais plus capable de me réveiller. Comme si elle m’avait entendu, la déesse m’appela. Ce devait être une déesse, n’est-ce pas ? Capable de parler dans les rêves, de t’appeler dans ses bras pour te réconforter, elle respirait la confiance, elle donnait espoir et offrait… des rêves. Je tendais le bras vers elle. Je.. veux te suivre, Shën. Je le veux.
Dans état d'hébétement comme je ne l'avais jamais ressenti, je me retrouvais à parcourir des terres trop loin de chez moi. Plusieurs fois, je m'évanouis en cours de route, et le réveil était toujours plus dur, dont les rêves étaient parfois accompagné de son appel, à nouveau. ça me donnait le courage de me relever et de continuer. Traverser la mer fut long, et je devais naviguer sous forme de renard, sur le dos d'une baleine envoûtée qui m'amena jusqu'au Triangle des Bermudes. Là, je lâchais mon emprise sur elle, sans pouvoir tenir plus longtemps, et la baleine m'emmena avec elle au plus profond des mers. Mon esprit tomba encore dans l'inconscience.
Quand j’ouvris les yeux à nouveau, je n’étais plus au japon. L’île sur laquelle j’étais tombée n’avait plus rien de la terre que je connaissais. Je tremblais mais réussis à me lever pour enfin sentir en moi l’espoir remonter. Si cette déesse m’avait appelé ici, c’est qu’elle allait me sauver la vie, non ? Alors pourquoi ce mal me rongeait toujours, pourquoi j’avais si mal au fond de mes entrailles, pourquoi la douleur lancinante dans ma tête ne me lâchait plus ? Qui pouvait me libérer de cette malédiction ?
L'agonie me laissa seul, dans ma douleur où plus personne ne pouvait entendre ma voix. Désormais piégé dans cette île, je n’avais plus aucune chance de pouvoir m’en sortir. Et dans les ténèbres qui envahissaient mon esprit, je vis les lumières de ce bâtiment qui détonnaient par rapport au reste. Lumineux et bruyant de vie, la curiosité me fit bouger jusqu’à ce lieu dans lequel je me perdais. Les spectacles présentés dans ce lieu appelé théâtre étaient sublimes. Les spectateurs semblaient émerveillés, l’espace de ces quelques heures, devant une magie tout à fait naturelle, sans artifice. Du moins, en apparence.
Je pouvais la sentir, cette force qui trainait au coin d’un mur. Et je m’approchais de lui, de cet être. Il était là, devant moi. Je le suppliais, je lui demandais de m’aider, de me libérer de cette malédiction. Quand il m’apporta une solution, je pensais avoir trouver enfin ma salvation.
Mais je ne savais pas avoir fait un pacte avec le diable.