S'attirer des ennuis facilement en 3 étapes ft. Elix Cente 30.08.21

Ça tournait en boucle dans son crâne depuis maintenant deux semaines. Comment allait Cyriacus ? Les souvenirs de leurs combats lui revenaient régulièrement par flashs, en cauchemars surtout. Il se sentait blesser son ami comme s’il y était, frapper cet être avec pourtant l’intention de le protéger, pourfendre cette chaire afin que l’autre ne se doute de rien de sa supercherie. C’était très clair à ses oreilles, le son de ces cris, la sensation de douleur dans ses membres... Les conclusions n’étaient pas les mêmes d’une nuit à l’autre. Parfois il y perdait la vie, parfois il ôtait celle qui était si chère à son cœur. Chacun de ces cauchemars le faisait se réveiller en sursaut et sueur, ses cheveux se retrouvaient collés à sa peau moite et son muscle cardiaque tambourinait comme un sourd dans sa cage thoracique avant de réaliser une fois ses mains durement cramponnées à son torse que : Reika l’avait sauvé, des membres de la garde étaient intervenus pour porter secours au membre de l’église blanche. Est-ce que ses blessures s’étaient remises d’ailleurs ? Avait-il trouvé un médecin digne de ce nom pour s’occuper de lui ? Ça avait forcément dû être le cas, le petit brun n’était pas personne. Du moins c’était ce que le métis espérait du plus profond de ses tripes. Ces questionnements le rendaient dingue et quand ils commençaient, il était impossible pour lui de s’arrêter à moins de se plonger la tête dans l’eau. Portant ses mains dans ses cheveux emmêlés par ses rêves agités, il poussait un lourd grognement de frustration en posant son front sur ses genoux. Actuellement, il ne lui était plus possible de prendre ses distances. Elix devait savoir. Il devait voir son meilleur ami de ses propres yeux et constater l’ampleur des dégâts qu’il avait causé. Parce que sinon, il allait perdre la raison.

Se levant du matelas, la silhouette se déplaçait jusqu’à un porte manteau pour attraper les vêtements qui y pendaient et il les enfilait mécaniquement.
Le parc.
Il fallait qu’il y retourne. Quand chacun des tissus avait trouvé sa place sur son corps, l’homme passait une cigarette entre ses lèvres puis sortait du bâtiment pour inspirer enfin un peu d’air frais. Ses paupières s’abaissaient sur ses pupilles ambrées, une inhalation profonde et toxique s’écrasait contre ses poumons, puis il se rouvrait au monde pour entamer un trajet bien connu. Trop bien connu. La capuche rabattue sur sa tête, un papillon ne tardait pas à se former à ses côtés, dénonçant l’illusion qui avait prit forme : être inexistant pour ceux qui le regarderaient. C’était peut-être irrationnel, complètement dangereux de ressortir maintenant à l’endroit même qu’il avait détruit avec son ami. Son adversaire improvisé devait lui en vouloir, il devait le détester d’avoir disparu toutes ces années et n’être réapparu que pour s’en prendre à lui. Serrant les dents sous la contrariété, Elix ne se rendait pas encore compte qu’il s’était mordu l’intérieur de la joue à sang. Ce n’est qu’après un énième passage de son filtre entre ses lèvres, que la créature magique réalisait à quel point il était crispé en voyant les gouttes de ce précieux liquide vital.
Le portillon se dessinait enfin dans son champ de vision et l’homme décidait de s’assoir en retrait. Il passerait la journée ici s’il le fallait, mais aujourd’hui, il avait besoin de le voir, qu’il soit vivant… L’envie de se rendre à la demeure de son homologue était forte, mais il ne pouvait pas prendre le risque de tomber sur l’un des membres de la famille Oswald, cette erreur serait lourde de trop de conséquences.
Aller… Viens…

Le temps défilait sans sembler atteindre l’homme. Il perdait la notion de celui-ci. Enchaînait les bâtons de tabac. Son attention se perdait parfois sur l’état du petit parc de jeu, tout semblait intact, comme s’ils n’étaient jamais passés par là, comme si cet événement n’avait été… Qu’un mauvais rêve. Ça soupirait entre ses lèvres, ça s’agitait sur un pan de tissu, puis d’un coup, une étincelle qui le réveillait passait au plus profond de ses pupilles quand enfin, il arrivait.

T’es vivant…

L’adulte en aurait presque eu les larmes aux yeux, il aurait presque pu lui sauter dessus aussi mais un peu plus d’observation et…

T’es encore blessé…

La culpabilité venait d’un coup tout balayer. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que lui allait encore mal alors que celui qui avait finit en piteux état s’en était finalement sorti indemne ? Ça bouillonnait dans son crâne à tel point qu’il ne réalisait pas. Il ne réalisait pas qu’il s’était levé. Il ne réalisait pas qu’il avait emboîté le pas de boiteux avec une distance de quelques mètres. Il ne réalisait pas… C’était machinal comme action. Un bâtiment apparaissait puis des enfants. Le métis s’appuyait contre un arbre et restait spectateur de la scène, essayant de comprendre ce qui se déroulait face à lui.

T’es blessé mais t’as l’air heureux, avec eux.

Peut-être devrait-il faire demi tour. Toutes ses questions sur l’état de santé du magnétiseur avaient trouvé leurs réponses… Mais l’adulte n’en était pas capable. Un sourire tendre passait sur son visage, là, tapis dans l’ombre, il comprenait un peu plus sa décision à ne pas se montrer. Tant qu’il n’existait plus, c’était des questions en moins pour l’Inquisiteur. C’était une indignation qui n’existait pas. Quel égoïste, cet Elix… Son ami semblait calme sur le banc et lui se disait qu’il était peut-être temps de partir. D’arrêter de s’accrocher à lui comme ça…
Puis l’autre, comme en accord avec ses pensées, se relevait pour s’éloigner. Un autre soupir. Il était temps… Se décollant de l’écorce, son regard ne bougeait pas du blessé, se disant qu’une fois qu’il disparaîtrait derrière la porte, lui s’en irait. C’était une bonne idée, non ? Déjà qu’il avait disparu toute la journée sans prévenir Reika. Puis ça faiblissait. Incapable de se contrôler, sa main s’était retrouvée sur ce bras pour le rattraper avec fermeté avant qu’il ne s’écrase sur les marches, une prise assurée. Le papillon, disparu.

- Tu peux pas faire attention ?!

Une colère pleine d’inquiétude plus que de remontrances teintait sa voix. Parfois il se maudissait, de ce type de réactions qu’il pouvait avoir… Son autre bras se tendait pour récupérer la béquille et il la rendait à son homologue pour lui permettre de récupérer appui plus stable que son propre corps. Son regard tombait sur celui de son meilleur ami, prit de court de part ses propres agissements.

- Tu ne t’es pas fait mal, au moins ?

Sa voix avait perdu de sa froideur à cette question, s’étant même faite plus basse, comme un être coupable. Quel ridicule. Sa bouche était devenue incroyablement sèche, parce que là, il n’était plus caché, il ne cherchait pas à dissimuler son visage, l’autre savait déjà qu’il était en vie. C’était leur première véritable interaction, et lui n’avait qu’une envie, disparaître sous terre parce qu’il ne savait pas comment Cyriacus allait réagir. Allait-il s’énerver contre lui ? Ça lui semblait cohérent. Il ne méritait que ça.
T’as prévu d’arrêter de faire des conneries, Elix ?

Cette voix tremblante, il l’entendait bien alors qu’il redressait le corps qui avait failli s’écraser contre les marches. Était-ce le choc de la peur qui lui faisait ça ou tout simplement le pincement brutal d’une réalité plus cruelle ? Elix posait son regard étincelant sur son meilleur ami d’enfance, celui pour lequel il avait tant lutter lors de sa captivité. Où en étaient-ils maintenant, ces deux enfants devenus adultes ? Un acquiescement répondait à cette question puis il le laissait reprendre un peu contenance sans chercher à le lâcher ou à se défaire de sa prise. Maintenant qu’il était là, face à lui et sans armes, la créature se retrouvait démunie de tous mots. La seule phrase ayant été une remontrance provoquée par une crainte d’assister à un malencontreux incident.

- Bien.

Malgré tout ce qui pouvait se dérouler en interne, ses propres chamboulements, la voix de l’homme était calme. Son expérience lui avait apprit à se contenir, à garder cette contenance bien inutile en cet instant. Parce que face à Cyriacus, jamais l’étranger n’avait ressenti le besoin de jouer un rôle, pas même pour le rassurer. Actuellement les choses étaient différentes, trop de temps était passé. Celui avec qui il avait prévu de vivre une nouvelle vie avait finalement suivit le chemin tout tracé par ses aînés. Mais au regard de ces perles salées dans les billes sombres de son partenaire, il comprenait que non, ça n’allait pas. Pas besoin de grands discours pour le réaliser. Comment aller bien face à cette découverte si réconfortante et pourtant si cruelle. La vie qui pulsait dans ses veines n’était que la traitre de sa lâcheté à rester caché. L’attention de l’inconnu des lieux se tournait vers les enfants qui s’approchaient, affublés de cette curiosité innocente. Sans montrer d’opposition, Elix emboîtait le pas de son ami. Par ce biais il ne pouvait que constater qu’il était le seul a avoir reçu d’aussi bons soins. Merci Reika, sans lui, le métis savait déjà qu’il ne serait plus là pour assister à son très probable interrogatoire. C’était parfaitement justifié. Quel mauvais ami il faisait. Parcourant les couloirs du lieu, l’homme ne s’attardait pas sur la décoration, toute son attention portée sur le clopinant qui le devançait en l’entraînant à sa suite. La porte se verrouillait, scellant ainsi les deux étrangers à se confronter l’un à l’autre pour la première fois depuis dix-huit longues années.

- Ça va mieux, oui. Nul doute que leur dernière interaction aurait pu laisser de lourdes séquelles, il revoyait encore sa propre illusion allongée au sol, inerte. … Et toi ? Aucun médecin n’est venu utiliser de remèdes pour te remettre sur pied ?

Toujours cette inquiétude qui se centrait principalement sur ce que pouvait ressentir son ami plutôt qu’envers lui-même. Les habites ont la vie dure. Quelques peu mal à l’aise, sans trop savoir quoi dire, il tournait le regard sur l’endroit qui renfermait son corps, car il avait bien compris que Cyriacus ne le laisserait pas partir. Déjà il se demandait comment il avait réussi à le reconnaître, l’homme était bien loin de l’adolescent pâle aux binocles posées sur l’arête de son nez.

- C’est joli, ici.

Phrase bateau dont il se rendait bien compte. S’il n’avait pas peur de le blesser, il le serrerait dans ses bras. S’il n’avait pas peur de se faire hurler dessus pour son comportement, il sourirait de le revoir. Mais les choses en cet instant étaient bien trop cruelles pour faire fit du passé, même le temps d’un instant. Du moins, c’était ce que se disait celui à la longue chevelure, cherchant par son regard à deviner ce qui pouvait se passer dans la tête du blessé autant physiquement que psychologiquement s’il en croyait son expression.

Au bras qui se tendait vers son front, Elix n’émettait pas le moindre geste de recul. Dans le regard de son homologue, il avait compris les enjeux qui se disputaient en lui. Ce n’était pas compliqué. Son corps était marqué des traces de son passé si douloureux. Par ce biais, le natif comprenait toutes les questions qui pouvaient animer Cyriacus. Qui ? Quand ? Comment ? Où ? Exactement les mêmes qu’il aurait posé si la situation avait été inverse. Un sentiment de vengeance aurait très certainement commencé à gonfler ses veines alors qu’il réfléchirait au meilleur moyen de détruire les coupables d’un tel crime. Il entendait ce qui n’était dit. Il comprenait ce qui n’était exprimé. Alors s’il avait besoin de toucher, de questionner pour comprendre, le métis était bien décidé à se laisser faire. Son meilleur ami d’enfance méritait d’obtenir toutes les réponses pour posséder les clés d’une compréhension exacte. Mais quel prix aurait-elle ? Un sentiment de trahison de par son clan. La torture de découvrir que le disparu n’avait pas été si loin pendant toute la première année d’absence et pourtant inatteignable. Quelle sort cruel que d’être celui qui brise les illusions d’un monde parfait ou du moins aux airs bienveillants.

- D’accord…

Pour le médecin. Il n’empêche que son ami était sévèrement touché de leur affrontement et qu’il sentait cette culpabilité s’immiscer lentement le long de sa nuque pour la raidir. Il était celui qui l’avait blessé ainsi. S’il n’avait pas eu la certitude qu’un médecin aurait pu tout effacer, nul doute que le jeune Cente aurait réduit un peu plus ses coups, quitte à en prendre plus contre lui-même. Quel idiot qui regrettait chacun de ses actes infâmes. Les expressions plus douces apaisaient l’âme chagrinée alors qu’il opinait du chef tel un enfant docile. Enfant ayant grandit trop vite. Trop tôt.

- Ils ont beaucoup de chance de t’avoir.

Avec un mentor pareil, une chose était certaine, c’était que ces enfants auraient toute la protection et tout l’amour qu’ils ne recevaient pas et pourtant méritaient plus que tout. Le silence s’installait entre eux. Lent. Lourd de sens. C’était compliqué pour chaque adulte présent de trouver les mots corrects. De s’exprimer avec clarté sans s’envenimer dans une flopée d’émotions incontrôlables. Par réflexe, l’œil étincelant visualisait les éventuels objets métalliques dangereux qui pourraient s’en prendre à son partenaire de toujours. Rien ne passait sous sa pupille. La voix hésitante tirait ce regard sur le visage si familier qui avait tout de même changer. Vide. Son cœur se serrait aux paroles qui faisaient vibrer ses tympans. Un rythme cardiaque passait. Les mots coulaient, tranchant la force mentale du torturé tel de petites lames chauffées à blanc. Ses doigts se resserraient sur sa main alors que la seconde montait sur sa joue pour y effacer quelques perles salées de la pulpe de son pouce. Ne pleure pas… J’ai toujours préféré te faire sourire… Une déglutition pénible faisait rouler sa pomme d’Adam de bas en haut alors qu’il le dirigeait lentement vers le fauteuil à côté d’eux.

- Tu devrais t’asseoir. Je vais tout t’expliquer…

Enfin. Après toutes ces années, les choses allaient être mises à plat. Voilà si longtemps qu’il n’avait pas dû mettre les mots sur son passé. La première et dernière fois qu’il avait dû le faire, c’était pour Reika, afin de justifier son arrivée dans sa faction, expier ses peines. Pour mettre les mots sur la souffrance qui avait marqué son corps à tout jamais. Installant avec cette douceur bienveillante son ami sur le siège, il allait récupérer le second qui trônait en face pour l’emmener à ses côtés, évitant de faire racler les pieds sur le sol. Son assise entrait en contact avec la matière agréable et une inspiration profonde venait gonfler ses poumons, signe que le discours ne serait pas aisé pour lui. Pour eux.

- Je ne suis jamais parti, Cyriacus. Du moins pas de ma propre volonté. Le jour du départ, je suis rentré chez moi et j’ai été enlevé… A cet instant, il comprenait qu’une fois que ces mots sortiraient de ses lèvres, tout changerait. J’ai été kidnappé pendant un an par l’Église blanche. Ils m’ont enfermé dans les donjons et m’ont torturé jour après jour pour avoir des informations. La pupille sombre se voilait alors que celle-ci fuyait vers le bas pour se poser sur ses genoux. Je n’avais pas de réponses à donner… Crois moi que si je les avais, j’aurais craché le morceau, j’aurais été incapable de tenir aussi longtemps de ma propre volonté, crois moi… L’Église était dénoncée, la réalité s’effritait lentement. J’ai cru mourir, au moins une fois chaque jour. J’ai voulu mourir autant de fois. Ça a été insoutenable, la seule chose qui m’a fait tenir se sont les faibles illusions que j’ai réussi à me faire subir à moi même. Tu étais les plus récurrentes. Tu me disais de me battre pour toi, que ce calvaire prendrait fin. Alors chaque matin, j’implorais, j’avouais et répétais le peu de choses que je savais dans l’espoir d’être enfin libéré, mais ce n’était jamais assez, ce n’était pas ce qu’ils voulaient. J’avais aucune idée de ce qu’ils attendaient réellement de moi au fond.

La main de celui qui expiait ses souffrances se posait sur l’angle d’un document pour le triturer légèrement, cognant l’angle dans un sens puis dans l’autre. Sûrement un peu de nervosité, de souffrance liée à ces 18 années en amont. Le métis avait été marqué au plus profond de son être par cet épisode.

- J’ai réussi à m’échapper, un jour, grâce à une illusion. Le garde à cru que j’étais sa fille et il m’a laissé sortir. Une fois dehors, un homme m’attendait. Il m’a récupéré et m’a emmené auprès de… Il hésitait. Était-ce une trahison ? Mais c’était Cyriacus en face de lui… Je n’appartiens pas à l’ordre Saint Émeline. Je peux te l’assurer. Et si j’avais pu, je serais parti avec toi, si j’avais pu… Sa gorge se nouait. J’esperais désespérément que tu t’en sortes… Que tu arrives à passer au-delà, que tu m’oublies… Mais comment je pouvais attendre ça de toi alors que j’en étais incapable moi-même..?

La culpabilité bordait les traits de l’ami d’enfance qui n’osait plus affronter le regard de Cyriacus. Par réflexe, il passait sa main sur sa gorge où résidait d’autres traces de la torture subie.

- Je n’ai jamais voulu t’abandonner. Je suis sincèrement désolé pour toute la peine que je t’ai infligé et encore plus pour les blessures que tu as encore… Quand j’ai su que le combat que tu voulais arrêter était à base de lames et d’armes tranchantes, j’ai voulu éviter que tu sois blessé. Ironique, n’est-ce pas ?

Parce qu’à ce moment là, à aucun instant il n’avait pensé que les barrières du parc auraient pu servir d’armes. Si seulement il avait su avant. C’était toujours plus simple de tout savoir avant pour être capable d’agir en circonstance.

A la fin de son récit, Elix sentait une masse imposante se soulever de sa poitrine. Depuis combien de temps il enfouissait ça ? Sa douleur par rapport à son vécu ? Sa tristesse d’avoir perdu sa vie en un claquement de doigt ? Reika avait dû ramasser plusieurs fois le métis à la petite cuillère. Mais aujourd’hui, il était face à son passé. Aujourd’hui, il pouvait raconter toute la vérité à celui à qui il la devait le plus au monde. C’était une rédemption bien méritée pour celui qui vivait dans l’ombre de son ami. Il l’avait toujours protégé, de loin certes, mais Elix n’avait jamais hésité à agir quand cela pouvait faciliter le quotidien de son meilleur ami. Meilleur ami… Il était bien plus que cela dans son petit coeur tendre, mais les années et les événements avaient fait se fermer cette petite brèche. Ceci avait pour but de le protéger lui même de la tristesse de ne jamais être vu par Cyriacus de la même manière qu’il le voyait. Ce n’était rien. Voilà. Ce n’était pas si grave, qu’il se disait le bel homme.

- Comment aurais-tu pu, Cyriacus ? Il n’y avait aucun indice. Aucune trace. Aucun signe. Juste son envolée soudaine qui ne paraissait pas si aberrante. L’église Blanche n’était visiblement pas à son premier coup pour avoir été aussi parfaite dans son action.

Après tout, les deux garçons avaient toujours parlé de partir. Elix aurait tout simplement pu le faire, mais seul, contrairement à leurs plans qui avait mis quelques années avant de se former. Parce que quand on est déçu de quelqu’un, comme avait du l’être l’inquisiteur en ne voyant pas son meilleur ami, les pires scénarios avaient dû tournoyer sous ses mèches sombres. Il n’arrivait même pas à imaginer la souffrance qui avait pu animer sa matière grise.

- J’ai vu ta tristesse au fil des années, tu sais. Tu n’as pas besoin d’essayer de te justifier. Je sais. Tu es… Si… Un sourire doux glissait avec tendresse sur ses lèvres. Si honnête. Et bon. J’aurais pu me manifester avant… Mais j’avais peur que ça te porte préjudice.

Les battements de son muscle cardiaque étaient rapides. Il avait un peu peur de cette conversation. Parce qu’elle pouvait faire tellement de dégâts et soulever tellement de problématiques plus importantes. Mes ses sourcils s’écarquillaient sous ce qu’il apprenait. Sa nuque se secouait, avec cette tendresse dans le regard. Celle qu’il n’avait que lorsque ses yeux dorés se posaient sur cet homme. Comment ça se fait que tu aies des couteaux en métal ? On va t’en prendre d’autres. Ne va pas risquer ta vie inutilement.

Et voilà. L’adulte était toujours plus inquiet pour son ami que pour lui-même. Sa nuque allait légèrement sur le côté de sa main. Ses paupières s’abaissaient pour profiter du mouvement. Son intérieur s’apaisait finalement. Parce que son ami ne l’avait pas oublié. Son ami ne lui en voulait pas. Il l’avait même reconnu malgré tous ses changements physiques. Avec lenteur, ses paupières lui redonnaient la vue. Une expiration amusée s’échappait de ses narines.

- Cyriacus, tu m’as toujours protégé. Tu m’as même sauvé. Ne te sens pas redevable ou ce genre de chose.

En parlant, ses doigts se glissaient sur le poignet pâle de son homologue. Son pouce caressait l’intérieur de celui-ci, traçant le chemin de son tendon. Ce petit moment calme lui faisait énormément de bien. C’était comme rattraper toutes ces années perdues. Bien qu’il ne courrait jamais assez vite pour récupérer tous ce qu’ils avaient perdu.

- J’aimerais juste repartir sur nos bases. Que y’ai rien de bizarre entre nous même si, j’imagine que mon retour doit te perturber. On ira à ton rythme, ok ? Enfin… Tu vois ce que je veux dire.

Parce que lui, il avait l’habitude de voir son ami régulièrement, même si c’était de loin, Le Brun lui, il venait tout juste de le récupérer. Il hésitait et finalement, déposait son front contre celui de son homologue en fermant les yeux.

- Tu m’as manqué.

Qu’est-ce qu’il avait versé de larmes pour lui. Qu’est-ce qu’il s’était battu, jusqu’à rendre son dernier souffle. Dieu qu’il l’aimait. Et Shein qu’il l’aimerait toujours.

- Ils pourraient s’en passer si c’est pour essayer de te tuer, tout de même…

Mais il ne pouvait pas s’empêcher d’offrir un sourire doux à son ami d’enfance en imaginant ça. Il trouvait qu’il y avait quelque chose de touchant dans cette façon de voir. Néanmoins, il était hors de question pour lui qu’il le laisse dans une maison où la moindre émotion trop forte pousserait l’entièreté de sa maison à s’en prendre à lui. C’était bien trop risquer. Jouer d’accord, être consciemment dans une maison aux pulsions meurtrières, un peu moins. Beaucoup mois. Pas du tout même. C’est qu’il avait toujours cette tendance protectrice l’illusionniste. Peut-être devrait-il se réfréner. Il n’avait plus le droit de demander ce genre de choses. Il l’avait perdu ce droit, il y a bien longtemps maintenant… Il fallait qu’il se fasse à cette réalité. Parce que dans son vécu à distance, il n’avait pas l’impression d’avoir perdu le contact, lui. Mais pourtant c’était la réalité, il n’avait pas parlé comme ça depuis des années. Si longtemps… Eux qui pouvaient passer des heures à parler en admirant les étoiles. Tant de temps perdu…

Mais il n’est jamais trop tard.

Lui soufflait sa petite voix intérieure. Elle n’avait pas tord, il n’était jamais trop tard pour se reprendre, pour partager de nouveaux moments ensemble. Rien n’était inéluctable.

Se frottant légèrement la nuque à cette question, le natif inspirait légèrement. Se remémorant sa captivité. Ce souvenir là, il n’était pas agréable à rapporter à ses pensées. Ça avait été la pire expérience de toute sa vie.

- Il a fallu que je tienne le cap tu sais. Alors je me suis infligé à moi-même des illusions pour survivre. J’avais pas vraiment le choix. Parce qu’il souffrait chaque jour, chaque instant, du lever au couché du soleil. Mais avouer sa méthode de survie était tout de même très gênant. Je t’ai entendu un jour. Tu me disais de ne pas abandonner, qu’il fallait que je me batte. Je ne sais pas si je suis devenu fou ce jour là, si c’était une illusion ou une hallucination. Mais ça m’a donné la force d’utiliser toutes mes ressources pour sortir. Juste, t’imaginer là… Ça m’a suffit. J’avais totalement abandonné tu sais. Je n’avais plus aucune énergie. Mais tu m’as aidé, tous nos souvenirs, tout ça. J’ai pas perdu la tête grâce à toi. Et cette force m’a permis de sortir de cette cellule. Donc oui, je considère que je dois te remercier, parce que tu m’as aidé à survivre.

À ce stade, c’était bel et bien de la survie et non pas vivre. Il avait tout abandonné. Il avait supplié. Avoué tout ce qu’il savait. Mais ce n’était jamais suffisant. Les tortures n’avaient de cesse de sévir. D’ailleurs sa peau encore aujourd’hui marquée était le vestige de ses suppliques passées.

Ses bras se serraient un peu plus sur le corps de son ami. Ses paupières s’abaissaient alors qu’il se ressourçait dans ce simple échange. Il n’y avait rien de mieux qu’un câlin après toutes ces années éloigné l’un de l’autre. Combien de fois il avait rêvé franchir ces quelques mètres qui les séparaient ? Hurler à plein poumons son prénom pour qu’il le remarque enfin ?

Ça y est. Il l’avait enfin sa Happy End.

- Plus jamais. Je suis là maintenant. Je pars plus. Mais pitié, laisse moi changer tes couteaux.

Elix avait besoin de dédramatiser. De faire une blague, parce que sinon, il allait craquer. Et s’il craquait face à Cyriacus, c’était 18 années qu’il allait se prendre en torrent de larmes dans les dents. Ce n’était donc pas une bonne idée. Mais oui, il était ému. Il se sentait même fragile en sa présence. Comme s’il était capable de céder à tout juste pour lui. Il ferait tout pour lui, c’était indéniable. Son Cyriacus était là. S’en était presque irréel. Il avait presque l’impression d’être dans une de ses énièmes visions. Mais non. C’était bel et bien la réalité. Il desserrait lentement son étreinte, passait ses doigts dans les cheveux de son homologue en profitant de leur intimité.

- Je suis vraiment content. J’ai du mal à exprimer à quel point je me sens heureux.