Histoire
Les humains ont beau être des créatures pas forcément remarquables... Il faut avouer qu'il y a toujours quelque chose de mystérieux, un peu magique, avec les artistes.
Surtout quand on les voit mettre tout leur coeur, leur âme et leur passion dans une oeuvre. Une pièce unique, qui reçoit durant toute sa création tout l'amour, la haine, les passions comme les frustrations de leur créateur.
A tel point que parfois, certaines s'en gorgent tant, qu'elles prennent vie.
"Parfait"
C'est le tout premier mot qu'il ai jamais entendu. Alors forcément, il a cru que c'était son nom.
Pourtant le sculpteur parlait tout simplement de son oeuvre, une belle sculpture qui semblait plus angélique que démoniaque ou grotesque, comme il avait l'habitude d'en voir. Après tout, c'était la fin de la guerre, pourquoi pas introduire un style plus moderne et élégant, dans les restaurations historiques ?
Bien sûr n'importe quel aficionado d'histoire de l'art et d'architecture aurait déjà hurlé au sacrilège rien qu'à l'idée, mais cet humain là était sculpteur, pas historien. Et il voulait mettre tout son coeur dans cette oeuvre. Même un tout petit peu plus, empruntant jusqu'aux traits de son fils décédé pour façonner le visage de cet ange en pierre.
Et si la commande était vraiment retenue pour restaurer les gargouilles de la cathédrale... Ce serais le plus beau des hommages, non ?
Il ignorait bien que ce soir là, quittant l'atelier au crépusule après avoir terminé de façonner ce visage qu'il connaissait par coeur, qu'il avait tant aimé autrefois, son oeuvre avait ouvert les yeux.
Faltaire.
C'était le nom sur le sac plein d'outils par terre. C'était peut être son nom aussi, du coup ? Faltaire ? Ou Parfait ?
Oh allez, les deux.
Il ne s'était pas beaucoup dégourdit les jambes, la première nuit. Faltaire avait surtout fait le tour de l'atelier, tenté de voler, s'était pris une poutre, s'était expliqué avec un pigeon qui le regardait mal...
Bref, il était vivant, en fait.
Le lendemain, le sculpteur n'avait même pas remarqué la différence de deux centimètres dans la position du bras gauche de sa statue. Son oeuvre n'avait pas été retenue pour faire partie des gargouilles de la cathédrale. Par contre, lot de consolation, on pouvait la mettre sur le toit du musée où une statue était manquante depuis un tir de canon mal placé. Bien sûr qu'il était triste... Mais c'était mieux que rien.
Et il avait déversé tellement d'amour dans ce travail, ce visage là... Oui, il était temps que ça parte. Qu'il fasse définitivement son deuil.
⁜
L'instinct premier des gargouilles et de garder. Garder le lieu sur lequel on les dépose. Alors Faltaire avait, au début, pris très au sérieux son rôle de gardien du musée.
Sauf que voilà.
Un musée c'est pas super ouf à garder.
Contrairement à ce qu'on voit dans les films, il se font pas braquer souvent. Et les autres statues sur le toit ne parlaient pas comme lui.
Il était seul, et il se faisait sacrément chier, en fait.
Les nuits, les années passaient, et Faltaire voyait le monde changer depuis là haut. Il avait finalement fait une trêve avec les pigeons, qui lui rapportaient les nouvelles et faisaient au moins un peu de conversation au crépuscule. Ils racontaient comment était la vie des humains, en bas, la modernité qui s'installait et les moeurs qui se libéraient. ça donnait beaucoup trop envie à Faltaire... Qui céda finalement à la tentation.
Un soir, après des centaines d'années de gardiennage et d'observation, il se décida à descendre du toit du musée. A prendre son envol, avant de suivre les lumières et les conseils des pigeons pour aller découvrir ce qu'était une "boîte de nuit".
En effet, c'était une grande boîte où il faisait sombre. Parfait ! Et en plus, dans celle là, les humains venaient tous déguisés. Ravi de pouvoir enfin se promener parmis les hommes, il en profita pour découvrir la danse, l'alcool, et gagner le concours hebdomadaire du meilleur déguisement de la semaine.
Bref, il était ravi. ça, c'était la vie ! Il avait juste à faire attention à l'heure du lever du soleil, reprendre sa position sur le toit du musée comme si de rien était ... Il aimait cette vie là ! Beaucoup mieux que juste faire le piquet toute la nuit !
Le manège continua. Longtemps. Il prenait même un peu trop confiance. Jusqu'à accepter la proposition d'une charmante jeune femme, de finir la soirée chez elle.
Après tout, il n'aurait qu'à attendre qu'elle s'endorme pour se glisser par la fenêtre avant le lever du jour... Facile !
C'est ce jour là que Faltaire eu l'occasion d'apprendre que quand les humains faisaient ce genre de proposition, ce n'était pas pour aller dormir. Clairement pas.
Et ce qui devait arriver arriva.
L'aube l'avait surpris, et il n'était pas sur son toit.
⁜
Il se réveilla comme d'habitude, à la nuit tombée. Mais il n'était pas sur son toit. Il était dans une pièce sombre, pas bien grande. Un peu étroite, même. Une cave, fermée soigneusement à clef. En se rapprochant de la porte, il pouvait entendre la voix tremblante de la jeune femme, et une autre, plus profonde, masculine. Son père. Ou son mec ? Oh. C'était un gros oups ça, non ?
Elle venait visiblement de finir son récit larmoyant d'avoir trouvé un monstre qui avait tenté de l'attaquer sauvagement dans son lit, et Faltaire commençait à trouver ça un peu injuste, quand même.
Lorsqu'il toque à la porte, c'est pour commencer à remettre tranquillement les choses en place: déjà, il l'avait pas attaqué. Ensuite, c'était elle qui l'avait invité chez elle et qui pensait juste coucher avec un gars vachement bien déguisé. Lui, il avait rien demand-
La porte s'ouvre, et le seul contre argument qu'il reçoit est une bouteille en verre en pleine tête. L'humain ne lui a pas laissé le loisir de tituber longtemps, qu'un coup de barre de fer suivit, lui brisant deux doigts.
Sous le coup de la panique, Faltaire a réagi par la défensive: la bouteille en verre se redresse toute seule, pour aller s'écraser à pleine vitesse contre le crâne de son adversaire... Qui s'écroula directement au sol.
Et il ne se releva pas.
C'est ce soir là que Faltaire compris... Que les humains étaient beaucoup moins solides que lui.
⁜
Deux enquêtes furent ouvertes: une pour meurtre, où les policiers attendaient avec grande impatience les conclusions du psychiatre sur la seule témoin qui n'en démordait pas d'avoir vu un monstre surnaturel perpétuer le crime. Et une autre, où les enquêteurs se demandaient bien POURQUOI qui que ce soit aurait l'idée dingue de voler une des statues sur le toit du musée, et surtout, mais alors surtout, COMMENT ?
Faltaire n'était jamais revenu sur son toit, ni dans les soirées déguisées. Il s'était envolé, pour la première fois de sa vie absolument terrorisé par le monde humain. Lui qui l'avait toujours trouvé si riche, fascinant, incroyable, le voilà devenu sombre. Le voilà qu'il n'était plus le type marrant avec le plus beau déguisement de la semaine.
Il n'était pas comme eux. Et il ne le serait jamais. Au fond, il serait toujours le monstre à abattre, attraper, enfermer.
Faltaire n'avait jamais autant volé. Il n'avait aucune idée d'où aller. Alors la gargouille s'est mise à suivre les oiseaux migrateurs, demandant son chemin, faisant un bout de route avec eux, avant de changer d'avis ou de direction. Un groupe lui vanta les états-Unis, ce nouveau monde fondé par ceux qui ne se sentaient pas à leur place. Pour la première fois, Faltaire sentit un peu d'espoir l'étreindre.
La gargouille se tâta pour effectuer son plus long vol jamais tenté. Simplement, ce n'était sûrement pas une super idée de se faire surprendre par le soleil en plein océan Atlantique et tomber comme un littéral caillou dans les fonds marins. Faltair osa donc s'approcher des humains encore une fois, pour s'infiltrer dans la cargaison d'un bateau qui transportait des objets d'art.
Parfait. Plus qu'à prendre la pose le jour, s'étirer le soir tombé ... Mais ce soir là, ça bouge un peu plus que d'habitude non ?
Même un peu trop.
Une tempête ? Une grosse alors. Okay, une très, très grosse.
Heureusement, la nuit était tombée quand la cale a commencé à prendre l'eau. Les humains avaient tous profités d'une accalmie, pour évacuer le bateau, dirigeant les petits bateaux de sauvetage vers l'île inconnue qu'ils apercevaient au loin.
Bon.
ça ne ressemblait pas aux états unis, en tout cas, c'était pas aussi grand que ce les oiseaux avaient décrit.
Mais c'était soit ça, soit rester perché sur le bateau jusqu'à ce qu'il coule.
Faltaire pris donc son envol, vers cette nouvelle terre qu'il ne connaissait pas.