Histoire
Comme tous les jours, je rentre de l'école avec ma meilleure amie. La fraîcheur du soir commence à pointer le bout de son nez. L'atmosphère devient humide et je frissonne. Elle me regarde alors d'un air accusateur.
- Je t'avais dit que ta veste ne serait pas assez chaude !- Et moi je te dis que c'est bon, je n'ai pas froid.- Menteuse.Nous nous regardons un moment dans les yeux, puis finissons par éclater de rire ensemble. Kelly fait partie des troi... quatre, je voulais dire quatre, personnes les plus importantes à mes yeux qu'il me reste encore.
- Tu as organisé quoi cette année pour Beltane avec ta famille ?- Pas grand chose... Il faut que ma mère se repose. Je pense que nous allumerons juste quelques bougies.- Oh désolée... C'est vrai que...Je l'interrompt d'un geste de la main, esquissant un léger sourire triste sur mon visage.
- Ce n'est rien ne t'en fais pas.Nous arrivons devant le chemin de terre qui mène à ma maison. Je dis au revoir à Kelly et lui souhaite une bonne soirée. À chaque pas que je fais j'ai l'envie contradictoire de ralentir et d'accélérer... Je voulais m'assurer que ma mère allait bien, sans apprendre de mauvaises nouvelles.
Sur le palier je pousse la porte grinçante... Le silence total accueille mon arrivée. Puis j'entends ma mère m'appeler faiblement depuis sa chambre. Un énorme soupir de soulagement s'échappe de ma bouche et je me dirige le pas plus léger vers le couloir.
- Comment vas- tu ma puce ?- Maman, tu sais que c'est plutôt à moi de m'inquiéter de son état actuellement ?Je me pose à son chevet, vérifiant la température de son front et de ses mains à l'aide des miennes.
- Tu es gelée...- Chérie, est-ce que tu le sens toi aussi ?Je sais très bien de quoi elle veut parler. Depuis des mois je me sens de plus en plus fatiguée, cette sensation croissante de lourdeur dans la poitrine n'est jamais partie non plus.
- Non maman, je ne sens rien, je vais très bien.- Tu as toujours été une terrible menteuse...Une larme m'échappe. Je me lève pour me diriger vers le salon avant que le reste ne commence à se déverser. Mon frère me voit débarquer dans tous mes états. Il m'ouvre ses bras pour m'y accueillir, je m'y réfugie volontier.
- Toujours pas de nouvelles de papa ?Je sens sa tête au-dessus de la mienne faire un mouvement négatif.
- L'armée n'a encore rien envoyé.Ma tête me fait mal et tout à coup la pièce se met à tournoyer. Bientôt mes jambes ne tiennent plus et je sens Lorcan me rattraper pour me poser quelques mètres plus loin sur le divan. Je l'entend crier mon nom, l'inquiétude transpire dans sa voix. Pourtant cela ne m'atteint pas, la fatigue est plus forte. Je ne lutte pas et me laisse partir.
J'ouvre les yeux sur un plafond à la couleur pâle. Que s'est il passé ? Où suis-je ? Qui... suis-je ? Mon prénom... C'est... Pour une raison inconnue mon poing se serre en même temps que mes dents. Que m'arrive t'il ? Je sens que mon cœur est comprimé, comme s'il était sur le point d'imploser. Je ne comprends rien. Quand je passe les mains sur mon visage, je remarque que mes joues sont humides.
Je me lève. Il semblerait que je sois dans une chambre. La pièce n'est pas très meublée, juste l'essentiel. Le couloir est tout aussi sobre. Une autre pièce dont la porte est ouverte comporte un lit vide et bien dressé, un grand miroir, avec finalement une petite table de chevet où sont posés une lampe et un cadre. Sur la photo je peux y voir quatre personnes. Le miroir m'apprend que je suis l'une d'elles. Mais qui sont les autres ? Un garçon un peu plus âgé que moi. Ainsi qu'une femme et un homme qui doivent avoir dans la cinquantaine.
Un bruit en provenance du bout du couloir parvient jusqu'à mes oreilles. Je repose le cadre pour aller voir. Un garçon se trouve dans ce qui ressemble à un salon. Il se tourne vers moi en me voyant arriver. C'est le même garçon que sur la photo. Je suis donc sensée le connaître ?
La bouche grande ouverte, je remarque qu'il essaye d'articuler des mots sans succès, comme s'il avait vu un fantôme. Le garçon finit par abandonner l'idée de dire quelque chose, affiche un grand sourire, et se dirige vers moi les bras ouverts pour me serrer. Ne sachant pas si c'est une situation normale, je le laisse faire. Après une ou deux longues minutes, il finit par me lâcher et faire un pas en arrière, ne me quittant pas des yeux pour autant.
- Comment te sens-tu ?- Je ne sais pas...- Comment ça tu ne sais pas ?- Je... Ne sais pas...Il fronce alors les sourcils et son sourire disparaît progressivement. Rassemblant le courage de briser le silence, je pose la question qui me brûle les lèvres.
- Qui es-tu ?- Ciara s'il te plait, si c'est une blague arrête ça tout de suite.- Je suis tout à fait sérieuse.- Donc tu ne te souviens pas de moi ? De quoi te souviens-tu exactement dans ce cas ?- De rien qui ne remonte à plus d'une dizaine de minutes...Le jeune homme sans que je ne sache encore son identité se laisse tomber sur un divan, puis passe son visage dans ses mains. Il inspire profondément avant de m'expliquer. Ayant l'intuition que cela allait durer un petit moment, je prends l'initiative de m'asseoir à ses côtés.
Le garçon est donc mon frère, et les deux autres personnes sur la photo étaient nos parents. Notre mère est morte il y a de ça un mois et demi alors que j'étais dans le coma. La raison officielle serait une maladie respiratoire, mais la vraie raison serait le manque de magie. Ce qui m'aurait au passage plongé dans le coma.
Notre père n'aurait apparemment pas eu un meilleur sort, une lettre datant d'il y a deux semaines indique qu'il a laissé sa vie sur le champ de bataille. Je vois mon frère pleurer, je ne peux m'empêcher de sentir une sorte de pincement au cœur. Je n'ai pas non plus besoin de vérifier mon visage pour savoir qu'il est également trempé.
- Aller habille-toi, je t'emmène la voir.- Qui ça ?- Maman...En traversant le couloir jusqu'à la chambre où je me suis réveillée, qui devait donc être la mienne, je me demande pourquoi mon corps est dans tous ses états. Je ne comprends pas pourquoi j'ai toutes ces réactions bizarres. Peut-être que je pourrais demander à Lorcan plus tard.
Une fois changée, j'emprunte à nouveau le couloir jusqu'au salon où m'attends Lorcan.
- Tu as changé.- Oui je porte des vêtements différents...- Je ne parle pas de ça idiote. Ton comportement et tes réactions ne sont plus les mêmes. Tu as l'air un peu plus calme, et perdue... Mais j'imagine que c'est normal.Ne sachant quoi dire je me tais et détourne le regard. Suis-je censée être plus... vivante ?
Derrière la maison, proche d'un lac, se trouve un grand arbre aux branches plongeant dans l'eau. Entre les racines se trouve un petit écriteau. Norah Aisling. 1887-1945. Le pincement au cœur reprend de plus belle. Mais qu'est-ce que ça signifie donc !?! Mon poing se serre à nouveau. Lorcan pose sa main dessus.
- Tu sais maman disait souvent que dans les moments où nous sommes perdus nous devions nous trouver une ancre qui nous permettrait de garder le nord. Laisse moi être là pour te guider petite soeur.- D'accord.Je place ma deuxième main sur la sienne, et affiche un léger sourire. Je crois avoir compris que c'est quelque chose qu'il apprécie. Il me sourit en retour, puis m'entraîne jusqu'à la maison. Là nous passons la soirée sur le divan. Il me raconte des anecdotes de quand nous étions enfant. Comme toutes les fois où je n'arrêtais pas de casser ma petite balancelle à force de me balancer trop haut. Ou bien encore les fois où j'avais évité de peu la catastrophe. Cela me faisait du bien de pouvoir me reconstituer un passé, d'avoir une ancre à laquelle m'accrocher. Nous restons à discuter jusque tard, et je me sens vaciller jusque dans le sommeil.
Tout autour de moi, comme un épais mur blanc, se tient la brume. L'herbe fraîche chatouille mes pieds nus et la hauteur de la falaise me fait tourner la tête. Devant moi se trouve un serpent. Il n'a pas l'air agressif, à l'inverse il dégage même une aura apaisante. Là où je reconnais le monde du rêve, c'est quand le serpent se met à parler.
- Rejoins moi mon enfant, je pourrais t'accorder ma protection.Mes yeux s'ouvrent. Lorcan s'est également endormi. Le secouant doucement à l'épaule, j'essaie de le réveiller. Je lui laisse le temps d'émerger avant de lui raconter mon rêve.
- Donc Ceridwen t'as proposé d'aller la rejoindre pour qu'elle te protège ?Surement à cause de mon visage, mon frère comprend que je ne sais pas qui c'est et se reprend.
- Ceridwen l'initiatrice de toute magie et reine des sorcières, elle est la gardienne de la porte de l'Ouest.- La porte pour aller où ?- Dans le sidh, le domaine des dieux. Enfin pour être plus précis il y a plusieurs sidh. Mais on va avoir un problème.- Lequel ?- Je ne vais pas pouvoir t'accompagner.- Pourquoi ?- Toi tu es une sorcière, tu pourras donc rentrer sans problème si on t'y invite. Moi je suis un humain ordinaire, si je rentre ils me garderont jusqu'à ce que mon corps dans ce monde soit devenu poussière.- Mais tu pourras vivre ? À l'intérieur du sidh, nous pourrons vivre ensemble. Et là bas je ne tomberai plus dans le coma.- J'imagine que oui, jamais aucun humain n'a pu revenir pour en témoigner.Les jours suivants furent longs. Nous étions montés sur une petite barque de pêche appartenant à notre père et avions emporté assez de nourriture pour tenir plusieurs jours en mer. Direction les îles du Nord.
Mon frère est tendu, je le rassure en lui promettant que si une divinité voulait nous faire venir jusqu'à elle dans le but de nous protéger, elle nous protégerait aussi le temps du voyage.
Une heure plus tard, le temps finit par se gâter pour la première fois depuis notre départ. La mer s'affole et notre embarcation finit par chavirer. Nous laissant Lorcan et moi, seuls face à cette grande étendue d'eau.
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