/!\ scène choquant /!\ VIVRE | pv Le Roi en Jaune | 18 décembre 2021

pv Le Roi en Jaune

Une seule chose semblait lui rappeler qu’il était toujours en vie, la douleur qui le déchirait de l’intérieur ; la sensation de sa peau qui semblait fondre sous un feu ardent, pourtant inexistant. Il était aveugle dans la lumière mais bien conscient de ses autres sens. Du moins il le croyait, puisque tout semblait se disperser autour de lui, dans un tourbillon incompréhensible de mouvement, de son et de sensations. Il ne faisait plus la différence entre rêve et réalité tandis qu’il plongeait, toujours plus profondément, au fond des eaux. S’accrocher de toutes ses forces à la baleine avait été la seule chose qu’il avait pu faire. Elle plongeait désormais toujours plus loin, dans des abysses dont il ne connaissait rien, et ses tympans commençaient à vriller douloureusement. Ses orbites semblaient s’enfoncer sur elles-même tant la pression devenait de plus en plus forte. Son corps semblait vouloir se plier dans une forme étrange et il était persuadé que le crâne allait exploser avec le reste.

Quand il ouvrit les yeux, il comprit qu’il avait fini par s’évanouir. Désormais éveillé, il remarquait qu’il n’était plus en train de couler au fond de la mer. Il était sur un sol, un vrai. Bien que trempé, il ne ressentait pas le froid. L’autre douleur effaçait tout le reste tant elle l’envahissait. Il était toujours souffrant, il sentait cette ombre s’étendre dans tout son corps, un poison lent destiné à finir sa vie. Il vomit une énorme flaque de sang mélangée à de la bile noirci par divers liquides avalés au fond des eaux, et il sentit un léger soulagement qui disparut aussitôt pour ne lui donner que de nouvelles nausées. Il n’allait pas bien.

Aruha se redressa sur ses bras et comprit qu’il serait incapable de se lever plus que cela. Aussi, il prit la forme d’un renard et commença à marcher, le poid de son corps plus supportable sur quatre pattes plutôt que deux. Il trébucha plusieurs fois sur le sol jonché de racines et de pierres qui roulaient sous ses pattes. Il pensait s’être foulé une pattes ou deux au passage, mais il ne pouvait pas vraiment le confirmer : son torse semblait avoir pris vie et de son ventre, quelque chose pourrait en sortir. Si tant est que quelque chose grandissait bien en lui. Aruha ferma violemment les yeux en sentant frapper contre son crâne son cœur qui martelait tout son corps. Une impression d’étourdissement le gagna et il roula des yeux. Son corps s’effondra l’espace d’un instant, moue et incapable de bouger.

Un hurlement de corbeau dans la forêt lui fit regagner conscience. Sa tête, étalée contre le sol, avait atterri sur un caillou. Du sang s’écoulait dans son pelage et Aruha redressa un peu la tête, encore sonné. En regardant vers le ciel, à travers le feuillage des arbres très touffu, il vit la lune transpercer les nuages. Sa simple vu lui redonna le courage qu’il lui fallait pour se relever. Un hibou braillait dans le silence de la nuit et il continua sa route, haletant et tremblant, le pas lourd et hésitant. Des vertiges le prenaient, mais il arrivait à avancer vers… il ne savait pas vraiment.

Si cette déesse l’avait amené ici, n’était-ce pas pour le soigner ? Pour lui donner une chance de vivre ? Pour le sauver ? Au pire, elle aurait pu soulager sa douleur ou lui offrir une mort rapide ! Mais là, il continuait à souffrir, de ce poison qui s’écoulait dans ses veines, qui s’imprégnait de chaque parcelle de sa peau, et lui, que faisait-il, il continuait à s’accrocher à la vie avec le vague espoir d’être enfin libre ?

Aruha cracha de la bile noire, encore une fois, mais continua à avancer. Malgré cette impression d'acouphène qu’il avait dans les oreilles, il pouvait entendre au loin cette étrange musique, et ces éclats de voix. Non loin, la vie était présente. Et de ce qu’il pouvait entendre, il y avait des humains. Il haleta plus fort, l’excitation faisait battre un peu plus son cœur… Et faisant s’écouler un peu plus vite le poison, propulser un peu plus vite avec son sang. Il tenta de courir mais se retrouva à trébucher une fois sur deux. Il continua à avancer jusqu’à atteindre l’orée des bois. Et là, devant lui, il voyait cet étrange… village. Doté de lumière sans pareil, Aruha resta un instant hébétée devant ce spectacle. Le village était gigantesque, de nombreux humains drôlement habillés naviguaient entre ses rues qui n’étaient pas faites de terre.

Le renard s’affaissa un instant à terre pour reprendre son souffle, et se laissa aller à la torpeur qui le prit. Il observait cette vie s’animer devant lui, oubliant un instant la douleur. Tout ici semblait hors de son monde, empreint d’une magie dont il n’avait pas connaissance. Était-ce un rêve ? Ou le monde de cette déesse ? Était-il dans ce que les humains appelaient « paradis »... ou en « enfer » ? Car la douleur était toujours là, logée au creux de son reins, entre ses côtes, le prenant à la gorge et fracassant son crâne, forçant une migraine qui tapait entre ses deux yeux.

Douloureusement, Aruha se redressa, glapissant tant le mal lui provoquait des décharges électriques dans le corps. Il continua sa route, se faufilant dans les ombres tant bien que mal, évitant de croiser le moindre humain. Qui c’est dans sa condition ce qu’ils pourraient lui faire ? Aruha se colla à un mur lorsqu’il vit un groupe passer devant lui, et étrangement, il put comprendre ce qu’ils disaient. Il parlait de… spectacle… d’avoir l’impression de voir des miracles devant eux… Que c’était magique… Ses deux oreilles se dressèrent sur son crâne, un espoir désespéré gagnant son cœur. Avait-il là sa solution ? En suivant les paroles des humains, il le trouva enfin, ce gigantesque lieu empli de lumière qui semblait briller comme une multitude d’étoiles, brillantes comme le soleil.

Aruha se faufila par une porte et entra dans le hall, découvrant devant lui un lieu comme il n’en avait jamais vu. Grand, espacé, tout était clair et richement décoré. Tout semblait briller d’un éclat qui rappelait cet or que les humains choyaient tant. Était-ce ici un lieu de débauche ? Ou un lieu de magie ? En voyant l’endroit d’un premier coup d'œil, il ne saurait dire la différence. Il se cacha dans l’ombre d’un meuble pour observer les humains quitter le lieu, des yeux emplis d’étoiles, émerveillés par un « spectacle » qu’ils venaient de voir. Aruha laissa sa curiosité le guider et il entra dans cette pièce que tout le monde semblait quitter.

C’était un théâtre, ça ne faisait pas de doute. Mais pas de ceux qu’il avait pu voir au Japon. ça lui rappelait plutôt ceux que les occidentaux avaient commencés à leur apporter, depuis leur pays étranger. Des décors magnifiques, placés sur une scène, face à un public désormais inexistant, mais généralement émerveillé - et parfois endormi. Et sur scène dansait, énonçait de voix souvent magnifique, des textes au discours profond ou drôle, mais qui parlaient toujours dans le cœur des spectateurs. Et parfois, les acteurs laissaient place à des artistes de la danse ou du chant, émerveillant là aussi par leur prouesse. Aruha voulait voir un de ses spectacles, s’émerveiller lui aussi comme avant, et peut-être même devenir l’objet de cet émerveillement, envoûter comme il le faisait, et prôner le message de son créateur, car telle était sa mission.

Mais un hoquet le fit à nouveau vomir, lui rappelant que tout ceci n’était qu’un rêve. Il avait de tel haut le cœur qu’il reprit sa forme mi-humaine pour tenter de stopper ses nausées. Mais il vomit encore, et il s’effondra un peu plus loin, au pied de la scène qu’il aurait tant aimé découvrir. Il allait mourir devant un spectacle qui ne lui appartiendrait jamais.

pv Le Roi en Jaune

Dans un brouillard incertain, il se sentit décoller du sol. Où était-il déjà ? Une voix terrible semblait le gronder, mais que disait-il ? Sans esprit déraillait et le regard flou, il ne pouvait percevoir que des lumières, des éclats de lumière qui attaquait sa rétine et le rendait aveugle. Il avait une odeur désagréable qui remontait de sa gorge jusque dans ses narines. Il se sentait souillé et transpirant, alors qu’il n’avait jamais transpiré jusqu’ici. La sensation était détestable.

Il s’affala à nouveau au sol, lourdement. Il ne sentait plus rien de son corps, la douleur était si forte qu’il pourrait se faire frapper, il ne ressentirait rien d’autre que cette électricité qui passait dans son corps, de ce poison qui nageait dans ses veines. Il voulait bouger, mais rien ne répondait. Un pantin sans articulation, voilà ce qu’il ressentait.

Et dans ce brouillard indéfini, il entendit cet appel, un présage de mauvais augure mais qu’il ne pouvait pas ignorer. « Jusqu'où es- tu prêt à sacrifier pour vivre ? ». Il était prêt à tout. N’importe quoi. Que la douleur cesse, qu’elle disparaisse, qu’il puisse respirer, vagabonder comme avant, avant que le poison ne commence à dévorer ses os, à déchirer sa chair et à torturer son esprit. Avant qu’il ne soit puni pour quelque chose qui n’avait jamais été mal. Il n’était pas un démon, les humains l’avaient déclaré ainsi.

Aruha voulait parler, voulait répondre à cette voix, lui dire oui. Lui dire n’importe quoi. Sa voix restait coincé dans sa gorge, une boule qui restait là, sans vouloir se dégager. Il mourrait, il le sentait. Mourrait à petit feu, sans pouvoir rien y faire. Allait-il arrêter de respirer ? Allait-il sentir son corps l’empêcher de se sauver, de tout faire pour survivre ? Il devait bien avoir un moyen de répondre. Un moyen de lui faire comprendre…

où trouva-t-il se regain de force ? Il ne le savait pas. Mais dans un éclair de vie, il agrippa la manche à qui appartenait la voix. Humain ? Créature ? Autre ? Qu’importe à ce compte. Il tira un peu la manche et tenta de toucher quelque chose. Il n’avait besoin que d’un contact, rien qu’un pour puiser dans la force de l’autre. Il finit par trouver la peau, il agrippa ce qu’il pensait être un poignet et il s’y accrocha de toutes ses forces… du peu de force qu’il avait.

C’était… fort. Cette énergie vitale qu’il pouvait percevoir dans le corps de l’autre était gigantesque. Cet être, quel qu’il soit, aurait-il la possibilité de le sauver ? De toute manière, il n’avait pas le choix. Plus le choix. Il n’avait plus aucun choix. Venir ici ne l’avait pas sauvé, cette voix dans son rêve n’avait été que le fruit de son imagination, une hallucination rêvée pour rendre la douleur plus supportable. Mais elle revenait en force. Là, maintenant.

« N’imp… orte… quoi »

Un souffle, à peine audible, qui sonnait comme un glas terrible à ses oreilles. Aruha se détestait. N’était-il plus capable de rien !? Même parler semblait lui demander toute la force de son être. Il était un Kitsune, une créature considérée comme l’enfant d’un dieu. Il n’était pas un verre à peine capable d’avancer au moindre obstacle ! Il n’était pas misérable, il se nourrissait de la misère !

Il déglutit et voulait hurler. Mais seul un souffle pitoyable finissait par sortir.

« Vivre... »

Aruha répondit dans un dernier souffle désespéré.

« Je ferais… tout… pour vivre »

pv Le Roi en Jaune

C’était difficile pour Aruha de savoir ce qu’il se passait autour de lui. Il avait presque mis toute son énergie pour laisser quelque mot s’échapper. Il ne pouvait plus jauger l’atmosphère autour de lui, tout était flou et distordu tandis qu’il ne sentait plus rien. Il n’avait plus aucune sensation sur sa peau, et aucune odeur n’atteignait ses narines. La vision trouble le rendait quasiment aveugle tandis qu’une ombre semblait se projeter au-dessus de lui.

Mais ce n’était que ça, une ombre, difforme et sans présence. Il partait, pour de bon. Il n’avait pas réussi à trouver son salut avant de finalement disparaître. Il avait tenu si longtemps mais aujourd’hui, il était épuisé et la douleur avait tout endolori au point qu’il ne ressentait plus rien. Du tout. Il ne voulait plus rien sentir; de toute manière, et son vœu semblait s’exaucer. Son corps inerte et amorphe ne répondait plus à rien. Il était fini.

Et tout revint subitement au point qu’il suffoca. Il tremblait violemment et il ressentait tout. Tout. Mais il était vivant ! La douleur ? Il ne savait plus à quoi elle avait pu ressembler car tout semblait si léger ! Mais était-il vivant ?

Toutes les odeurs l’agressèrent tandis qu’il retrouvait son odorat. Cette odeur de la mort qui l’avait gagné plongeait dans ses narines et le rendait nauséeux. Mais c’était ces odeurs qu’il accueillait avec un désespoir enfin soulagé. Il était en vie !

Son corps qu’il ne sentait plus répondait enfin à sa volonté tandis que chacun de ses muscles ankylosés tentait de bouger. C’était si léger… La vie était si légère. Il n’avait plus mal. Il pouvait respirer, même s’il évitait de le faire à plein poumons pour ne pas vomir. Mais il était en vie !

Et dans un élan de gratitude, le kitsune leva les yeux avec espoir. Au-dessus de lui se tenait l’être qui l’avait libéré de son fardeau, qui avait répondu à son appel à l’aide. Un être d’une supériorité qu’il n’espérait même pas imaginer. L’aura qui l’entourait semblait irréel à ses yeux et ceux-ci s’écarquillaient alors que, dans un soupir, l’être créa un être à l’apparence d’une femme.

Cette femme qui sembla s’enfuir comme un lapereau effrayé mais dont l’être supérieur n’en fit que peu cas. Il se tenait avec une prestance qui lui sied, mais dont l’apparence semblait… anormale. Il ne montrait pas son vrai visage, n’est-ce pas ? Il ne pouvait pas être un vulgaire humain. L’être parla alors et sa voix était… insolite. Il n’était pas humain, pas du tout.

L’être lui avait offert un instant de paix alors qu’il pouvait le détruire en un instant, il en était persuadé. Pire encore que ce sorcier venimeux. Mais il lui avait juste offert un réconfort tant attendu. Il était doué d’une puissance incroyable. Terrifiante, certes. Mais tellement et tristement attirante aux yeux de la créature de perle…

Alors quoi faire si ce n’est se plier à sa volonté ? Cet être qui se plaçait sur cette scène, tel un maître berger face à ses moutons. Son aura si intense semblait imprégner chaque cellule de son corps et le renard ne décrochait plus le regard. C’était… il était… ancestrale, peut-être ? Il y avait quelque chose d’impressionnant chez lui mais Aruha ne saurait mettre un mot dessus.

Il ferait n’importe quoi pour ne pas s’attirer son courroux qui pourrait être pire que la mort. Alors, de ses deux mains tremblantes au bras ankylosés, il commença à attraper tant bien que mal ce qu’il avait éjecté de son estomac. La maladie, qui le détruisait encore, malgré l’impression qu’il était sauvé. Il était toujours malade et mourant, mais en l’instant, il ne ressentait plus rien si ce n’est un paisible soulagement.

Il fourra dans sa bouche tout ce qu’il put et l’avala sans hésiter. S’il hésitait une seconde, il vomirait encore plus, et ça, il se doutait que l’être face à lui n'apprécierait pas. Il déglutit et ravala le haut-le-cœur qui le gagna avant de faire une erreur. Il avait fait ce qu’on lui demandait. Aussi, il leva un regard plaidant à son supérieur. Sûrement, il n’allait pas être abusé s’il faisait ce qu’il dit, n’est-ce pas ?

Il lui avait fait la promesse après tout, celle d’être sauvé. Enfin. La douleur ayant déjà disparu par un tour de magie dont l’être ancestral semblait user avec facilité, le kitsune avait espoir qu’il pourrait, en plus, lui permettre de vivre ?

Suivant les ordres, il essuya du mieux qu’il pouvait le sol avec ses vêtements, en prenant soin qu’il n’étale pas plus. Il ne faudrait pas rendre la chose plus terrible encore. Mais après quelques minutes à tenter un travail qui n’était pas parfait, il dut se rendre à l’évidence. Ce n’était pas aussi propre qu’il l’aurait voulu, lui, mais aussi le maître qui l’observait d’un œil meurtrier.

Ainsi, la voix rauque, Aruha trouva le courage d’annoncer ces quelques mots qui, dans ses oreilles, semblait résonner comme le glas de son échec : « Je… je pourrais nettoyer mieux… si vous pouviez me donner quelque chose pour que… que ça soit plus propre… mes vêtements… ne suffisent pas ».

pv Le Roi en Jaune

L’air se fit soudainement plus lourd, alors qu’il prenait conscience que ces quelques paroles ne semblaient pas plaire à cette entité. Il frissonna et osa à peine regarder plus haut que son cou, ou ce qui semblait l’être. Oh, il avait fait une erreur, et ce “Roi” de la scène la lui fit remarquer. Pourquoi n’utiliser que ses manches quand il était complètement habillé ?

La voix était sévère et intransigeante. Il n’avait qu’une seule option, celle de suivre la moindre de ses consignes sans réfléchir. Il devait faire ce qu’on lui disait. Pas d’hésitation possible. Il trembla alors qu’il commençait à retirer les couches de ses vêtements. Tout comme avec le sorcier. Il n’avait pas le choix. Il n’avait plus jamais eu le choix. Il commençait à avoir l’habitude, alors pourquoi résister.

S’il pouvait ne serait-ce qu’avoir une maigre chance de ne plus souffrir.

Il essuya. Il avait cinq minutes, son maître lui avait dit. Il faisait ce qu’il pouvait, nettoyant et jetant dans le carton, vêtement après vêtement. Il enleva tout, tout comme on lui avait ordonné. Et lorsque le dernier pan de tissu tomba dans la boîte avec le reste de son ancien kimono, il marcha à quatre pattes vers la scène et y monta lentement. Ses oreilles étaient aplaties sur son crâne et il tenta, tant bien que mal, de se cacher derrière sa queue touffue, refermant les bras autour de lui.

Il n’avait pas à avoir honte, n’est-ce pas ? Après tout, tout ce qu’il lui arrivait était de sa faute. Il avait ri de la mésaventure de ses victimes. Qui riait de la sienne aujourd’hui ? Il leva un regard vers son maître qui semblait emballé par l’idée de la meilleure des mises en scène. Aruha n’arrivait pas à comprendre l’ampleur de son idée. Il regarda autour de lui dans l’espoir de trouver un indice, un petit rien qui lui donnerait une idée de ce à quoi il devait s’attendre. Mais à part se trouver là, sur scène, nu comme un verre, il ne voyait pas. Une minute à attendre ? à attendre quoi ? De quoi devait-il être prêt ?

Aruha sentit alors son estomac se nouer par le stress. Ou du moins, il le crut au début. Et puis, tout revint comme avant. Cette impression terrible que tout son corps était plus lourd que n’importe quelle pierre ; qu’il était oppressé d’une pression sans pareil, comme tout au fond de l’océan. Dans ses veines ne coulaient plus qu’un épais liquide dont les bords auraient pu être des pics, et sa peau le brûlait comme un feu rougeoyant. Les nausées le prirent par surprise et il plaqua ses mains contre sa bouche pour ne pas vomir à nouveau.

Il n’était pas guéri alors… C’était une blague ? C’était ça, le spectacle ? Il se plia en deux, les mains toujours fermement appuyées contre sa bouche, et il hurla. La douleur qui avait disparu l’espace d’un instant… Il l’avait presque oublié. Les larmes dévalèrent ses joues en un instant et son gémissement gagna ses oreilles pitoyablement.

Pitoyable.

C’était bien ce qu’il était. Il gagnait toujours un peu plus le sol et ravalait le moindre vomi qui tentait de franchir ses lèvres. Il ne devait pas salir à nouveau le sol de… de ce nouveau maître. Il était certain que la douleur qu’il ressentait maintenant ne serait pas comparable avec celle qu’il lui ferait subir. Il avait été, après tout, capable d’effacer sa douleur l’espace de quelques instants, et aussitôt, il lui avait redonner.

Peut-être même l’avait-il décuplée ? Aruha sentit un pic lui poignarder le cœur et il s’effondra soudainement, tout son corps soudainement électrisé. Il se sentit tomber, mais il ne sentit pas le sol frapper son crâne. Il ne sentait plus grand chose, d’ailleurs. La douleur était à nouveau si forte qu’il était totalement paralisé. Il tentait un regard vers ce roi… Mais il ne voyait plus. Tout était flouté par la douleur. Des larmes qui ne coulaient plus et emplissait sa vision d’un brouillard épais.

Quel que soit le spectacle dont son maître rêvait, il n’avait plus qu’à subir et attendre son apothéose semble-t-il.  

pv Le Roi en Jaune

Un regard, bien que flou, me suffit pour le voir. Ce nouveau maître qui s’amusait. Oui, mon état semblait le divertir totalement, mais malgré tout, il fit venir jusqu’à moi quelqu’un que j’aurais aimé ne jamais voir.

Un sorcier.

Souhaitait-il me faire souffrir davantage ? Je me fichais pas mal de ce que ce sorcier voulait de moi. Mais j’allais le mordre s’il osait s’approcher plus. Qu’importe la douleur et le fait que je sois tétanisé de douleur. Il allait souffrir comme les siens me faisaient encore souffrir aujourd’hui.

« Ne t'inquiète pas, je vais te sortir de là. Je vais te soigner, je t'en fais la promesse. »

Et là, j’eus un hoquet de surprise. Qu’est-ce qu’il me chantait là ? Je peinais à garder le sens de la réalité. à chaque fois que je tentais de réfléchir, une douleur lancinante perçait mon crâne, une migraine si violente que j’en aurais vomi à nouveau. Aurais-je dû le ravaler aussitôt ? Sûrement.

Mais celui-là, il était atteint. Atteint de quoi ? Pourquoi cherche-t-il la cause de mon mal-être ? Il voulait me soigner ? Un hoquet de douleur me gagna soudainement et je plaçais une main sur ma bouche pour la mordre violemment, tentant de retenir mon cri et mes nausées. Et le sorcier commençait à énoncer ce que je savais déjà. Maudit, oui. Pourquoi ? Pour avoir cru trop facilement. Comment ? Tu me poses vraiment la question ? à cause de l’un des tiens peut-être.

Et puis, soudain, il dit ces quelques mots qui me mirent la puce à l’oreille. Toi qui a toujours été quelqu’un de généreuse. Moi, non pas |i]généreux[/i] mais généreuse ? Je lançais un regard vers cette créature sortie des pires cauchemars de ce monde. Était-il l’origine de cette méprise ? Ou le sorcier me prenait-il vraiment pour quelqu’un d'autre ?

« De quoi est-ce qu'il y aura besoin pour l'aider ? Je veux vous assister si nécessaire. »

Mon attention fut attirée par elle, cette chose qui n’était pas humaine mais qui en avait toute l’apparence. C’était… une sorte d’illusion ? Et le sorcier la voyait vraiment comme une personne réelle. N’était-il pas capable de voir la méprise ? Moi qui jouait des illusions, j’étais au moins capable de sentir que quelque chose sonnait totalement faux. Ou étais-je capable de le voir tout simplement parce que je n’étais pas la cible concernée par cette illusion ?

Je jetais à nouveau un œil à celui que je devais désormais appeler mon maître, cet être suprême qui me ferait regretter la mort. Voilà sa manière de m’aider. Faire croire à un sorcier que devant lui se trouvait un être qui lui était sans doute cher. Et il chercherait à la sauver par tous les moyens. Mais il semblait hésiter. Avais-je envie de lui donner une chance ?

Non.

« Un sorcier comme toi… m’a maudit comme ceci pour me faire souffrir…»

J’allais le faire culpabiliser, lui montrer que cette douleur était due à ses pairs. Même s’il n’était pas celui qui avait fait dû mal, les sorciers étaient tous les mêmes dans le fond. Est-ce que les kitsune étaient tous pareils ? Oui. Nous étions nés pour punir l’avarice, et jamais nous n’avions fait les mêmes péchés. On piégeait, de paroles mielleuses qui attiraient pour trahir ensuite. Mais était-ce un mal, lorsque celui puni était coupable ?

Je les haissais tant.  

« J’avais seulement voulu aider… »  disais-je d’une voix meurtrie. Je continuais le piège qu’on avait amorcé en ne disant que la vérité. Sauf que c’était ma vérité, et non celle de l’être que le sorcier pensait avoir sous les yeux. « Et il m’a piégé avec cette… malédiction…».  

Entends ma douleur, salop. Cette douleur qui me rongeait de l’intérieur.

« J’aurais dû me douter que les sorciers étaient tous pareil…»

J’y plaçais une pointe de dégoût, ne cachant pas la déception qui me gagnait. Entend cela, sorcier, comme si l’être tant aimé se retrouvait trahi par l’un de tes pairs. Quelle sera ta peine, si celle que tu aimais vraiment ne croyait plus en toi ?

« …indigne de confiance »

Un murmure emplit de trahison et d’une légère pointe de haine que je ne pouvais pas refouler. Mais qu’importe. Entend comme “elle” semble te détester autant que moi je te hais. Je ne te connais pas, pourtant. Mais tu seras à jamais incapable de faire le bon choix. à jamais incapable de penser aux autres avant toi même. Un égoïste né, possédant des pouvoirs qui te semblait acquis et qui te donnait le droit de faire comme bon te semblait. Malgré la volonté de puissance bien au-dessus de toi.

« Tu ne peux rien faire pour m’aider, n’est-ce pas ? »

Tu seras à jamais capable de m’aider. Toutes les farces qui t’entourent ne pourront pas me soigner. Tu n’en es pas à l’origine, et tu es faible. Mais si tu veux me redonner confiance en ton espèce, prouve-moi le contraire. Aide-moi à me libérer de cette douleur infernale et libère moi.

pv Le Roi en Jaune

J’avais espéré y arriver. Mais je n’avais pas espérer y arriver à ce point. Le sorcier y croyait vraiment. Mais à quoi ? Il pensait que j’étais… Mais comment était-ce possible ? Il pleurait, et le désespoir le gagnait.

Il abandonnait. Totalement. Il se laissait prendre dans les toiles d’un filet qui était invisible même à mes yeux. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Et je m’en fichais pas mal. Puisqu’avec cette phrase qu’il me dit, je sentis dans mon esprit, enfin, un espoir grandir.

« Je vais te soigner, tout ira bien ».

Le sourire grandit sur mes lèvres. J’étais incapable de le retenir. J’avais gagné. N’est-ce pas ? Ce sorcier était perdu. Mais qu’importe. Je ne l’étais plus.

N’est-ce pas ?

Tout doucement, la douleur commença à s’effacer. C’était comme plonger dans l’eau chaude du onsen quand on avait trop froid. Un profond soulagement nous atteignait et chaque muscle endoloris du corps se détendait agréablement. Là, je pouvais enfin ressentir à nouveau une telle sensation.

Et c’était d’un régal.

Sentir la mort non pas nous prendre, mais nous quitter. Qui pourrait décrire une telle sensation ? J’en étais incapable. Mais retrouver la vue, entre autre, me donnait envie d’hurler. Hurler ma joie.

Quand mes yeux voyaient enfin clairement, je regardais cet inconnu qui prenait tout mes maux. Ce sorcier n’était rien pour moi, mais il représentera la rédemption pour tous les autres. Il n’était rien pour moi, mais il était tout ce que je détestais le plus au monde après moi-même.
Il s’effondra et agonisa sur le sol de bois. Mon corps encore fatigué, je restais étendu et l’observais en silence. Était-ce donc à cela que je ressemblais ? Si pitoyable et… Déplorable ?

Mes pensées divergèrent aussitôt.
Il s’avança lentement vers le sorcier et resta là, au-dessus de lui, comme un amateur d’art observant une toile avec une extrême curiosité.

Mon cœur me donna l’étrange impression qu’il s’arrêta. Mon corps endoloris se figea complètement et je ne respirais plus. Tous mes sens se concentraient sur mon ouïe et ma vue. Je ne manquais plus rien.

C’était une étrange sensation de peur fasciné qui m’émouvait totalement.

Le sorcier sembla alors me voir. Me voir véritablement pour ce que j’étais. Il me dévisagea comme un étranger. Quelque soit le sortilège dans lequel il s’était laissé piégé, quelque soit la personne qu’il pensait avoir sous les yeux, il savait désormais qu’il avait été trompé. Et cette incompréhension, qui se transforma en choc, en rage, puis en désespoir, m’émoustilla comme jamais. J’avais oublié ce que c’était d’être excité. Et cette vue… Cette vue m’offrait un désir inachevé depuis si longtemps !

Je souriais, et j’aurais ri, vraiment. Si seulement j’avais pu. Malheureusement, je ne pouvais pas émettre un geste, ni prononcer un seul son. La créature qui se penchait actuellement sur le sorcier captivait tous mes sens. Car il n’avait rien d’humain, et certainement rien d’une créature que j’avais pu croiser auparavant. Sa puissance n’avait aucun égal, et je me prenais même à penser que cette illusion dans laquelle le sorcier s’était laissé avaler tout entier… était de son fait.

Ce sorcier qui hurla quand il comprit qu’il était inéluctablement en train de mourir… Et tout ça, pour rien. La créature semblait comme attirée par ce cri. Un cri de désespoir qui sonnait à mes oreilles comme la douce mélodie de la vengeance. Cet être qui m’avait ouvert la porte vers un nouvel espoir semblait elle aussi… amusée. Elle se pencha encore un peu plus, jusqu’à ce que le sorcier disparaisse de ma vue. Le voile blanc qui couvrait… quoiqu’il ait dessus, vint également couvrir le visage du sorcier. Quoi que soit cette créature surpuissante, ce qu’il avait et ce qu’il faisait sous ce voile ne me dévoilait rien.

Il n’y avait pas un bruit et la créature se redressa. Le sorcier était mort.
Voilà ce qu’elle m’inspirait cette créature. Une morbide fascination. Qu’est-ce qu’il avait fait ? Qu’est-ce qu’il était ? Qu’est-ce qu’il allait me faire…

« Alors ? La forme ? Faudra que tu me débarrasses tout ça. C'est super pour la caméra, mais SEULEMENT pour le spectacle. Je ne veux pas qu'il pourrisse ma sublime scène... Des acteurs, dont toi, vont y jouer dessus après tout, il faut que ça reste impeccable. »

Sa voix résonnait encore en écho dans mon crâne et j’essayais de comprendre tout ce qu’il m’avait dit. Pouvoir me concentrer sur mon ouïe et non plus sur la douleur était une délivrance, mais également un véritable fardeau. j’allais devoir tout réapprendre.

Je regardais celui qui m’avait parlé et je fus pris d’un sursaut quand, soudain, sa tête se tourna vers moi. Complètement. il était pourtant toujours de dos, mais il me regardait, son voile de visage bien en face du mien. Il n’y avait pas eu un seul bruit. Pas un craquement d’os, pas un froissement de muscle ou de peau. Rien.

Je déglutis puisque le choc me laissa sans voix, mon coeur matelait dans ma poitrine et tout mon corps était raide comme un mort. J’étais incapable de réfléchir. Je n’avais pas compris ce qu’il m’avait dit, mais j’avais vu son signe de main. Ou de ce qui était supposé être une main… Je me trouvais une force inconsciente pour me lever et je le suivais.

Sans mal, vraiment. Mon corps était léger, marcher ne m’apportait aucune douleur. C’était d’une facilité déconcertante. Je pouvais porter le poids de cette nouvelle vie qu’on m’offrait. Je souriais, à nouveau, d’un vrai sourire sincère. J’étais libre ? Cela devait être ça, la liberté. Pouvoir bouger sans mal, marcher sans peine. J’étais vivant. Une vie dont la douleur était terminée. Je suivais cette créature, machinalement, mais mon esprit bouillonnait. Si léger ! Si frais ! Je suis…

Vivant. Mais étais-je libre pour autant ? La vie ne pouvait pas être aussi belle.
La vie avait un prix.
Et il me l’avait bien fait comprendre.

« Et voici, sert toi, mais choisie bien, car ce sera pour un moment tes seuls vêtements hors spectacle. »

Je regardais la penderie et reprenais mon calme. Toute l’excitation de mon esprit s'éteignit aussi vite qu’elle m’avait gagné. J’étais en vie, mais je n’étais pas libre. Je ne devais pas l’oublier. J’étais prisonnier d’un nouveau mal dont je ne comprenais rien. Etait-ce une situation meilleure ?

Seul le temps me le dirait.

Je jetais un œil alerte vers cette créature portant un simple drap en guise de visage. Sa puissance était inimaginable. J’étais frigorifié. Mais pas de froid. Je n’avais jamais eu froid de toute ma vie. C’était ce drôle de regard fixé sur moi qui me terrifiait.

J’étais vivant, mais à quel prix ? Avais-je vendu mon âme au diable, comme les humains aimaient tant le dire ?

J'attrapais un kimono. Il était comme ceux que j’avais pu porter une fois. Celui-ci possédait des symboles de lune. Les teintes violettes me rappelaient mon ancien habit et je le pris instantanément. Puis, je vis un masque de renard, tout blanc. Et l’idée me vint soudainement. C’était peut-être là une seule chance d’apporter quelque chose ? De lui montrer que… Que je m’étais résolu à mon sort, que j’allais lui apporter des spectacles comme il le souhaitait, comme il me l’avait demandé.

« Ce masque… pourrait être une idée de spectacle »  

Peut-être me laissera-t-il un minimum de liberté ?

pv Le Roi en Jaune

Je sentis tout mon corps se raidir en l’entendant me répondre. J’avais fait une erreur. Pas de spectacle pour moi ? Je savais qu’aujourd’hui, je choisissais ce qui fera mes vêtements pour un long moment. Si je n’étais pas blessé ou salis, ceux-là feront l’affaire pour des années. Je n’avais pas compris ce qu’il voulait de moi. J’étais un jouet, ça, je pense l’avoir bien compris. Mais… Qu’étais-je, sinon un outil simplement pour le divertir ? De quoi avait-il besoin ?

Il lâcha soudainement comme un râle qui me fit frissonner. Il tenait la note, tel un maestro. Un maestro de l’horreur. Il s’avança, petit à petit, vers moi, menaçant. Totalement tétanisé, je ne bougeais pas d’un pouce, mais tentais de ne pas trop baisser la tête. Mon regard, lui, fuyait légèrement. Inlassablement, cette créature surpuissante devant moi répétait le mot « hors » comme une incantation.

Il s’arrêta quand ce qui était comme un visage pour lui était trop proche du mien. Je coupais ma respiration par instinct.

« Spectacle ».

Il ne dit rien d’autre. Je le regardais un instant sans comprendre et soudain, il me tapait le nez avant de s’éloigner comme si de rien était. Je restais quelque peu bouche bée par l’acte soudain et d’aucune manière violente.

« Chaque chose en son temps mon petit recnerhiadn. Nous nous dispersons plus tard, officialisons plutôt l'adoption. C'est important pour vous, il me semble. »

Je ne comprenais pas forcément ce qu’il voulait dire par “adoption” mais cela ne confirmait qu’un peu plus le fait que j’avais un nouveau maître. Je restais là où j’étais, sans bouger d’un poil, et me permettait seulement de reprendre un peu mon souffle. Je ne bougerais que lorsque j’en aurais reçu l’ordre semble-t-il.  

« Ce serait tellement dommage que tu sois cassé et réduit à un simple repas aussi vite... J'ose espérer que tu tiendras plusieurs années à mes côtés. Et pour cela, mieux vaut ne pas griller les étapes. Je parle par expérience... Votre santé mentale est si... »

Et alors qu’il terminait par un « fragile », un son terrifiant résonna en écho dans tout l’édifice. Mon sang se glaçait et mon cœur palpitait à tout rompre. Je ne savais vraiment pas sur quoi j’étais tombé, mais jamais… jamais je ne voudrais le contrarier.

« Finito ? T'as tes nouveaux vêtements ? T'es ici depuis quand mh ? T'as un endroit ou dormir au moins ? Il faudra que je puisse te trouver facilement et rapidement pour quand j'aurais besoin de tes services recnerhiadn. »

Je déglutis mais je retrouvais ma voix rapidement. Pour cela, j’avais déjà une solution pour lui, qui j’espère, saura le satisfaire. Sinon, je n’avais pas beaucoup d’autres idées.

« Vous n’aurez pas à me chercher, maître. Je serais juste là, sur le pas de la porte, à vous attendre ».

Et pour accompagner mes dires, je me transformais en perle juste en face de lui, à la merci de sa seule volonté, espérant que cette forme saura lui être utile d’une autre manière.

pv Le Roi en Jaune

En me mettant sous ma forme de perle, je m’offrais totalement à lui. Ma forme de perle était ma plus forte mais aussi ma plus fragile. Sous ma forme de perle, je me sentais comme flottant dans l’eau. Je m’étais toujours dit que, si je pouvais voler, la sensation que je ressentais serait la plus proche de celle que je pourrais ressentir.

Le Roi en Jaune m'observa pendant un long moment. J’observais, de mon côté, derrière mes yeux qui ne faisait plus qu’un avec tout le reste de mon être. Sous forme de perle, j’observais comme à travers une lentille toute ronde. Mon ouïe captait tous les sons autour de moi, qui m’entourait complètement.

L’attente de sa réponse était exténuante. Si la perle pouvait transpirer, le sol serait désormais tâché d’une belle trace d’humidité. Mais j’étais une perle. Heureusement pour moi. J’avais la nette impression qu’une seule autre tâche sur le sol de ce théâtre, et son propriétaire m’aurait écrasé comme du verre.

« Une boite ouverte dans le théâtre pourrait faire office de lit du coup, c'est ça ? ».

La voix résonna presque comme une bénédiction. Il ne se fâchait pas, et mon message était compris. Je ne pouvais, bien entendu, pas vraiment lui répondre non plus donc, à la place, je roulais légèrement sur moi-même pour lui faire part d’un message. D’une réaction. Quoique ce soit qui lui montrerait que je l’écoutais.

Et soudain, un grondement résonna autour de moi et, les sons étant renforcé sous forme de perle, le sentiment de terreur qui me gagna m’empêchait même de penser. Quel était ce bruit ? Venu du tréfond des terres ? J’avais croisé des créatures puissantes, parfois proches de ce qu’on pourrait appeler des « monstres », mais là…

Dans quoi m’étais-je engagé ?

« Et bien soit ! Le théâtre sera ta maison dans ce cas. »

Je ne savais pas si je devais en être heureux. J’avais l’étrange sentiment que j’allais le regretter.

« Il y a bon nombre de boîtes ici, reprend ta forme qui bouge et choisit celle qui te chante. Je te dirais où dormir en caca d'h.... En perle. Afin que je puisse faire appel à tes petits mimines pas poilus ou poilus, qui sait... ».

Comprenant le message, je pris un instant sur moi pour souffler intérieurement et me transforma sous forme humanoïde. Il me fallut une petite seconde pour me tenir sur mes jambes, puisque celles-ci menaçaient de me lâcher. Je me sentais si mal que j’avais l’impression que je pourrais faire un malaise.

La force que ce nouveau maître dégageait dépassait de loin le sorcier qui m’avait piégé, et celui qui m’avait maudit. Lui… était sans doute de la nature d’un dieu. Qui était-il, vraiment ? J’en avais aucune idée. Mais il fallait que je fasse tout ce qu’il me dit.

Je ne voulais pas mourir.

Je m’approchais du meuble pour observer les boîtes et en pris une au hasard. Faire tout ce qu’il me dit de manière efficace, sans lui faire perdre son temps. Cela serait mon nouveau mojo. Tout faire pour qu’il ne souhaite pas me détruire.

Parce qu’il le pourrait, d’un claquement de doigt.

« Bon inutile de te dire que tu ne devras pas te laisser prendre par qui que ce soit quand tu seras dans ta boite... Je ne compte pas te toucher, je me contenterai toujours de t'appeler entre ces murs. »

Cette étrange attention me surprit mais je répondis aussitôt.

Je vous remercie. Même si quelqu’un cherchait à me prendre contre mon gré, si celui-ci n’ait pas conscient de ce que je suis, et s’il n’est pas un sorcier, je n’aurais qu’à lui dire par hypnose de me reposer là où il m’a prit ».

Je n’osais pas le regarder mais je tentais de ne pas me montrer… pitoyable. Parce que c’est ce que j’étais actuellement.

Pitoyable.

« Y a-t-il quelque chose que vous souhaiteriez que je fasse dès maintenant ? »