What’s happened ? PV. Leo Tepes

Mélusine descendit du bateau.

Son esprit tournait à cent à l’heure depuis qu’elle avait été téléportée dans cet océan. Elle ne comprenait pas grand-chose. Et elle détestait ne pas comprendre.

Les pièces du puzzle étaient pourtant claires : le groupe de défense des animaux, le laboratoire, les petites souris…

puis la chute, la machine, l’eau, le bateau et maintenant ce port.

Aucun trou de mémoire, tout était là mais il lui manquait clairement des liens.. ou peut être qu’il lui fallait admettre l’impossible. Une machine qui permet de se téléporter. Non. C’était dans les histoires de science fiction ça. On le saurait si c’était possible de téléporter des gens !

Non ?

Il y avait bien trop d’inconnues dans cette équation pour y voir clair.

Mélusine soupira et tenta pour la énième fois de sécher ses lunettes par réflexe mais son tee-shirt était trempé. Elle était donc condamnée à voir flou le temps de trouver de quoi essuyer ses verres. Enfin, même sans voir très loin, elle se doutait qu’elle devait avoir l’air assez pitoyable avec son tee-shirt trop large collant à ses bourrelets et sa tignasse rousse qui dégoulinait sur son crâne. Elle n’osait même pas imaginer ce que ça allait donner en séchant….

Elle fit quelques pas, tentant de deviner où elle se trouvait exactement, à défaut de savoir comment elle s’était téléportée dans l’eau, grimaça au « floc floc » que firent ses chaussures trempées, et soupira. Elle avait besoin d’un café. Et de vêtements secs. Et d’un moyen pour rentrer chez elle.

Nouveau soupir.

Il valait mieux commencer par la première chose logique à faire.

La jeune femme se dirigea vers la silhouette la plus proche d’elle, plissant les yeux pour tenter d’en déterminer les détails, en vain.

– Excusez-moi, où est-ce que je me trouve ?

Elle allait sans doute passer pour une cinglée avec sa dégaine et sa question, mais là, de suite, elle s’en fichait. Il fallait qu’elle rentre.

Mélusine fut surprise d’entendre une voix masculine lui répondre. Elle voyait flou et avait perçu des cheveux longs, venant à la conclusion qu’elle avait affaire à une femme. La rousse s’en voulut d’avoir fait ce genre d’association et se concentra sur ce qu’il venait de lui dire.
Azuola.

Jamais entendu parler. Après elle ne connaissait pas toutes les îles au monde. Ce n’était donc pas surprenant.

Ce qu’elle fichait sur une île était bien plus perturbant mais il s’agissait là du mystère global de son arrivée au beau milieu de l’océan. Elle mettait cette information dans ce casse-tête à résoudre une fois la priorité traitée.

Par contre, l’entendre parler de « monde extérieur », d’abri contre ce dernier n’était pas très rassurant. C’était qui le monde extérieur. Son monde à elle ? Pourquoi ils se considéraient comme coupés de ce monde ? Pourquoi ils devaient se mettre à l’abri ?

"Tenez, pour essuyer vos lunettes."
- Merci

Elle accepta le mouchoir en tissus. Qui donc avait encore des mouchoirs en tissus à cette époque ? Enfin, au moins elle pouvait essuyer ses verres.

Les remettant sur son nez elle put enfin voir correctement son interlocuteur en lui rendant son mouchoir.

- Tenez, encore merci

… et se demanda si elle n’était pas en train d’halluciner. Elle se retint de demander s’il y avait une fête ou une reconstitution historique mais le décor semblait coller avec le look assez… vintage du type en face d’elle.

C’est là qu’elle fit le lien : un mec en vêtements d’époque qui dit qu’ils se trouvent sur une île à l’abri du monde extérieur…. Oh mon dieu… elle avait atterri dans une sorte de communauté de mormons ou un truc dans ce genre !

Mélusine se demanda un moment à quel point elle était dans le pétrin face à cette nouvelle information pour le moins improbable. En tout cas, sa poisse légendaire avait encore frappée.

"Je peux vous proposer le gîte si vous le souhaitez, le temps de sécher vos vêtements et de reprendre vos esprits. Arriver ici n'est pas toujours facile à encaisser pour les naufragés."

La jeune femme battit des cils pour reprendre une certaine contenance mais son cerveau n’était pas encore prêt à répondre.

– Je… euh…

Elle analysait la situation et le meilleur choix possible.

Il n’était jamais très bon de suivre un homme inconnu chez lui, surtout quand on était une femme. Dans son cas à elle, elle savait qu’elle n’avait pas la santé pour courir ni très vite, ni très loin. Elle fit un check-up rapide des moyens de défendre qu’elle avait à disposition. Rien. Elle avait sa ventoline dans sa poche mais elle doutait que ça soit utile dans le cas d’une agression. Ne restait que ses poings, ses pieds, ses dents et le décor à la limite mais il était sans doute plus fort qu’elle et le fait d’être dans une communauté dont elle ne connaissait ni les règles ni les mœurs n’aidait pas à la rassurer. Impossible de savoir si on pourrait lui venir en aide ou au contraire.

Maintenant les points en sa faveur : il pouvait aussi vouloir réellement l’aider, elle était dans un lieu inconnu très loin de chez elle sans argent, papier d’identité ou même un téléphone (elle avait tout laissé en lieu sûr avant de partir en expédition dans ce laboratoire au cas où ils se feraient attraper et mettre en garde à vue), elle était trempée et risquait d’attraper la mort si elle restait comme ça et enfin elle n’avait nulle part où se réfugier pour le moment.

Tous ces arguments pesaient assez lourd dans la balance pour qu’elle accepte de prendre le risque de tomber sur un psychopathe. De toute façon elle avait autant de « chance » d’en croiser un en restant dehors…

– D’accord… merci. C’est.. gentil. De toute façon je ne suppose qu’il me suffira de passer un appel pour qu’on m’aide à rentrer chez moi. Je ne vous dérangerais pas longtemps.

Elle se prit à espérer avoir un café une fois là-bas. Pour une personne addict comme elle, cela faisait beaucoup trop longtemps qu’elle n’en avait pas bu. Genre… la veille.

"Télé... Quoi? Ah, ce que les personne de votre époque utilisent pour communiquer?"

Mélusine se figea, surprise par sa réaction. Elle le regardait comme s’il venait de lui pousser une seconde tête et acquiesça doucement.

– … ouais…

C’était une blague ?

"Je suis navré mademoiselle, je ne possède pas le téléphone chez moi. De toute manière vous auriez bien du tracas à contacter le monde extérieur. C'est impossible ici."

…. C’était. Une. Blague ?!

La jeune femme avait l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Elle n’était plus maîtresse de son corps. De l’extérieur, elle s’était figée, debout, le fixant, les yeux ronds. De l’intérieur c’était une tempête qui avait pris le contrôle. Son sang se glaçait et bouillonnait en même temps, sa tête lui hurlait de partir en courant et une partie d’elle-même lui soufflait que c’était peut-être une blague très élaborée et totalement stupide. Mais c’était cette voix qui était stupide… qui avait les moyens de lui faire une blague pareille et pourquoi ?

Et l’homme qui continuait de parler… Elle ne savait pas s’il se foutait d’elle ou s’il était sérieux.

"Personne ne peut quitter Azuola. Même si vous essayiez vous ne trouveriez rien d'autre qu'un funeste destin."

Est-ce qu’il la menaçait ? Est-ce que c’était le début d’une séquestration ? Quelles étaient ses options actuellement ? Quelle était la meilleure solution ?

Elle contint un petit rire nerveux. On dirait le scénario d’un jeu vidéo. Ou d’un film. Ou de n’importe quelle fiction. Un truc pas réel quoi.
Enfin, si c’était une histoire, elle faisait un très mauvais choix d’héroïne.

D’ailleurs elle commençait à sentir ses poumons se contracter, l’air lui manquer. Voilà que son asthme rappliquait.

Elle fouilla dans sa poche, pris une bouffée de ventoline et en profita pour se calmer un peu.

Il fallait qu’elle réfléchisse, qu’elle examine la situation, qu’elle se pose.

"Je... Je peux vous expliquer plus en détails ce qui se passe ici. Mais vous devriez d'abord vous sécher pour ne pas attraper froid. Suivez moi."

L’inconnu s’éloigna, ne laissant pas le temps à Mélusine de réagir. Elle qui avait besoin de temps il ne lui en donnait pas. Ne sachant s’il fallait vraiment le suivre ou s’enfuir en courant, la jeune femme hésita et ne su pas trop pourquoi ses jambes se mirent en mouvement et le suivirent.

Peut-être que c’était la seule solution possible actuellement. Non. Il y en avait plein d’autres… mais peut-être qu’il n’y en avait pas de meilleure pour le moment.

Super. La seule option viable était de suivre un type habillé comme… comme…. Ce n’était pas le moyen-âge, peut-être une époque plus proche de la sienne quand même… mais pas assez pour que ça soit normal… bref, elle devait le suivre on ne sais où sans aucune certitude qu’il n’allait pas la séquestrer, lui trancher la gorge, la violer, tout ça en même temps ou dans un ordre aléatoire.

Enfin, vu l’endroit, il pouvait lui arriver la même chose dans la rue et en plus elle attraperait la mort.
Bien. Il valait mieux décomposer en petites étapes de priorité pour le moment.

Priorité n°1 : se sécher.

Sur le chemin, elle observa son guide. Il n’avait pas l’air méchant. Un peu bizarre, plutôt mignon, mais pas méchant.

Les psychopathes n’ont pas tous l’air méchant… voilà qu’elle faisait des associations stupides pour trouver un repère, quelque chose à quoi se raccrocher pour se rassurer. C’était pitoyable.

Elle ne savait pas quoi dire, se sentait encore en état de choc, perdue, ne sachant ce qui allait lui arriver et ce qui lui était arrivé.

Sa poisse avait frappé fort. Très fort. Elle avait l’habitude mais ça n’avait jamais été jusque là quand même !

Mélusine avançait, sonnée. Elle ne savait pas où elle était tombée, si c’était une sorte de communauté sectaire, des gens en plein jeu de rôle grandeur nature qui étaient sacrément à fond dans leur truc, des psychopathes ou …. ou….

Non, elle ne savait pas. Son cerveau tournait à plein régime mais il ne parvenait pas à assembler quoi que ce soit de plausible.

Le paysage se transformait alors qu’ils s’éloignaient de la mer, étrange, ancien, pas tant en ruines que ça pour quelque chose d’aussi vieux mais carrément pas familier. Mélusine songea qu’elle avait peut-être trop vécu en ville et qu’elle commençait à voir tout le reste comme vieux, mais elle savait au fond d’elle que c’était un argument bidon.

Quelque chose clochait.

Mais le genre cloche de cathédrale. Comme si elle s’était retrouvée dans une autre réalité. Elle continuait de bloquer sur sa mystérieuse téléportation. C’était impossible.

Peut-être qu’elle rêvait… peut-être que…

Elle fut sortie de ses pensées en sentant qu’on posait quelque chose sur ses épaules.

"Pour que vous n'attrapiez pas froid"

Revenant à cette réalité la rousse leva les yeux vers l’inconnu en tentant un léger sourire.

"Nous sommes presque arrivés mais on ne sait jamais."

– Merci…

Ce fut en sentant la chaleur que lui apportait le manteau qu’elle se rendit compte qu’elle grelottait depuis tout à l’heure. Son esprit avait fait l’impasse sur ses sensations pour se focaliser sur le problème actuel. Elle serra les pans du vêtement autour d’elle pour tenter de se réchauffer un peu plus et fut soulagée quand il l’invita à entrer dans une maison.
Elle ne savait pas ce qui l’attendait, ne savait pas si elle faisait bien de le suivre, si ça se trouve elle venait de se jeter dans la gueule du loup mais elle allait au moins se sécher et qui sait, parler pour démêler ce sac de nœuds qu’étaient ces dernières heures pour elle.

"Faites comme chez vous. Je peux vous préparer un baquet d'eau chaude si vous désirez vous laver. Je peux aussi vous proposer quelque chose à manger si vous avez faim."

Un baquet ? Comme… comme… genre… avant les douches ? Mélusine se demanda si elle devait penser que c’était raccord avec le décor et l’absence de téléphone, s’inquiéter ou rire nerveusement. Elle se sentait fatiguée… Est-ce qu’on pouvait être fatiguée dans un rêve ?

"Excusez mon impolitesse je ne vous ai pas donné mon nom. Je m'appelle Leo. A qui ai-je l'honneur?"

– Mélusine… je m’appelle Mélusine.

Au moins son hôte avait l’air gentil. Peut-être qu’elle le mettait mal à l’aise même, peut-être que c’était elle qui était malpolie à à peine répondre aux questions alors qu’il avait était bien gentil de l’emmener se réfugier chez lui. Après tout, c’était elle qui l’avait abordé.

Bon, stop les réflexions stupides… La jeune femme était visiblement confuse et ses suppositions partaient dans tous les sens. Il fallait revenir à la priorité actuelle : se sécher.

– Et je veux bien me laver, oui, s’il-vous-plaît…

Il lui avait aussi proposé à manger, non ? Elle était tellement éparpillée mentalement qu’elle doutait. Elle n’était même pas sûre d’avoir faim.

– Je… Je n’ai pas faim, mais merci quand même. Par contre… est-ce que vous avez du café ?

La politesse… ne pas oublier la politesse.

– S’il-vous-plaît.