L'allée des déceptions [PV Ciara] - 15/02/2023

Le vent, tel un murmure à mes oreilles, se plait à balayer les feuilles mortes à mes pieds. Il fait étrangement froid aujourd'hui, mais rien à quoi je ne suis pas habituée. Les allées du parc ne sont pas très remplies en cette saison. J'ai entendu dire qu'elles l'étaient davantage à l'arrivée du printemps. Je ne comprends pas réellement pourquoi.

En effet, je préfère largement ce paysage froid et terne qui n'est pour autant pas fade. Il est certes moins coloré, mais c'est justement ce qui lui donne cet aspect plus reposant à mes yeux. Une fleur attire alors mon attention. Ses pétales noirs déployés au milieu des teintes grises et marrons.

Pour je ne sais quelle raison, je sens ma poitrine se serrer. Peut-être, car je trouve cette fleur à mon image... ? Plantée seule au milieu de l'hiver, resplendissante, au meilleur de sa forme, alors que le reste du monde est endormi. Je me surprends à penser que s'il m'était possible de communiquer avec cette dernière, j'aimerais beaucoup savoir comment elle le vit.

Mon regard alors attiré vers un endroit légèrement distant, je remarque une silhouette vêtue d'une cape déposant un objet au sol. À cette distance, je ne peux distinguer que le point blanc, immobile, laissé à l'abandon, alors que la silhouette poursuivait son chemin.

M'efforçant alors de comprendre les raisons de cet acte, je me rends compte bien rapidement que je n'en suis pas capable. Je m'élance donc à sa suite. M'imposant sur le passage de la silhouette masquée, une question sort de ma bouche sans préambule.

- N'avez-vous pas l'intention de récupérer ce que vous venez de laisser ?

Puis jetant un nouveau regard à l'arrière-plan, je remarque alors le bouquet blanc posé à côté d'un cadre. Et le souvenir de mon frère faisant de même sur la tombe de notre mère refait tout à coup surface. Maintenant, je saisis la situation et me rends compte de ma bêtise.

- Oh...

Je ne sais quoi dire de plus, je ne saurais même formuler des excuses. Hormis pour se retourner de moitié et contempler l'espace d'un instant l'endroit qu'il venait de quitter, mon interlocuteur reste droit et immobile. Cela ajouté au fait qu'il porte un masque m'empêche de savoir s'il m'en veut pour mon intervention impromptue. Déjà qu'il m'est d'ordinaire assez difficile de deviner les intentions d'autrui.

— Vous êtes sans conteste la rencontre la plus incongrue que j’ai faite à Azuola depuis mon arrivée, jeune fille. Et j’ai côtoyé des Razorans de près.

Mes yeux clignent trois fois d'affilé. Sa voix était calme, et son ton posé, allant assez bien avec sa posture. Est-ce une réaction positive ? Je n'en ai pas la moindre idée...

Soudainement, il se mit à m'approcher, les mains dans le dos, lentement et pas à pas. Je ne bouge pas. Cependant, un frisson inexplicable me parcourt le dos. La sensation est étrange, je ne me sens pas en danger, pour autant, je ne me sens pas à l'aise non plus. Car ayant le visage tourné dans ma direction, j'ai comme l'impression qu'il me regarde avec insistance.

Après ce qui me parurent comme de longues minutes de silence, que je n'avais par ailleurs pas osé brisé de moi-même, l'homme masqué repris la parole. Il m'interroge sur le pourquoi de mon étonnement face à cette scène, commençant par chercher une réponse dans mes origines.

À vrai dire, je n'ai pas réellement été étonnée, je dirais davantage que ma curiosité et mon incompréhension de la scène, dû à un certain manque d'informations de ma part, m'ont poussés à sauter sans réfléchir dans l'action.

- Pour être tout à fait honnête avec vous, je n'ai assisté à une telle scène qu'une seule fois dans ma vie. Je tiens à m'excuser, avec la distance, j'ai mal interprété vos gestes et la curiosité m'a poussé à venir vous aborder. Je vous demande pardon pour mon impertinence.

Mes yeux, ne pouvant plus supporter la vue de ce masque stoïque, avaient rapidement trouvé le moyen de fixer le sol, la tête légèrement inclinée dans la même direction.

Son regard pesant, oppressant, que je ne peux distinguer à cause de ce masque... Il me perturbe. Pour faire au mieux et ne pas fuir sans demander mon reste comme une malpolie, je continue de fixer le sol hivernal.

Cependant, il continue à me répondre d'une voix posée et calme. Il me qualifie même, à mon plus grand étonnement, d'amie. Nous serions-nous déjà rencontrés ? Sur Azuola j'en aurais le souvenir. Comme une réponse à mon monologue interne, il se qualifie lui-même d'inconnu.

Cela ne me rend que plus perplexe. Ne sommes-nous pas censés attribuer le terme d'ami qu'à des personnes dont nous nous sommes rapprochées ? Pourquoi me pardonner si rapidement ? Surtout pour ensuite briser la glace de manière soudaine, tout en restant malgré cela très courtois.

Je m'attendais à de la colère, et j'obtiens... Un nouvel ami ? Qui ne me demande que pour seule compensation de marcher et discuter en sa compagnie. Décidément, les émotions humaines sont vraiment compliquées à saisir. J'accepte tout de même son invitation, d'un petit hochement de tête. À défaut de pouvoir le regarder dans les yeux, je fixe à nouveau les petits trous noirs de son masque.

- Je dois avouer ne pas bien saisir les raisons de votre clémence. Mais s'il y a un sujet que vous souhaitez aborder, je saurai y prêter une oreille attentive.

— Mon apparence vous trouble-t-elle, ma jeune amie ?

Cela est donc si évident ? J'ai beau ne pas comprendre beaucoup d'émotions, je comprends néanmoins en quoi elles sont importantes lors d'un dialogue.

Parler de cette manière à un homme, de très grande taille, dont le seul signe distinctif est un masque blanc froid et impartial... Me donne l'image de parler à un mur.

Bien que l'on dise parfois que les murs ont des oreilles, il ne m'a pas été donné l'occasion de tenter d'entamer une discussion avec l'un d'eux.

Mais ce mur-là semblait un peu plus fragile, il exprimait de l'inquiétude, de la curiosité, et même du regret. Je me félicite d'avoir pu identifier ces émotions.

Pour revenir à cet homme, il n'avait de mur que l'apparence, derrière on pouvait lui trouver des qualités bien humaines.

- Ne vous excusez pas. Il est vrai que votre apparence m'a un peu troublé de premier abord, mais rassurez vous je commence à m'y habituer.

Cela n'était que la stricte vérité, je trouvais déjà ces deux trous noirs bien moins effrayants ou déconcertants qu'auparavant.

- Quant à votre question, non je ne suis point ici pour visiter un proche, et j'espère honnêtement ne pas avoir à le faire bientôt.

Quand nous étions dans le jardin derrière notre maison, honorer la mémoire de notre mère ne m'était pas pesant, étant donné que je n'en possédais aucune.

Mais pour Lorcan, c'est différent. Au cours des derniers mois avant sa disparition, il s'était acharné à recréer un lien entre nous, à faire en sorte que je réapprenne le plus de chose possible.

Et cette mémoire-là, je compte bien ne jamais la laisser partir.