Histoire
Ma mère était malade. Il ne s'agissait pas d'une petite toux, ni même d'un rhume que vous pouviez soigner avec les règles conventionnelles. Non. Lorsque mes parents sont arrivés sur Azuola, elle s'est vue attribuer le pouvoir que je possède actuellement -celui de passer à travers la matière. Au début, elle semblait plutôt bien le porter mais son état s'était considérablement détérioré depuis ma naissance. Pour ça, j'imagine que je m'en suis toujours un peu voulu, même si je n'y étais pour rien. Sûrement parce que mon père me le reprochait assez pour faire germer la culpabilité. Une culpabilité qui grandissait à mesure que sa santé empirait au fil du temps. Son corps n'était qu'un amas de cellules instables, incapable alors de pouvoir contrôler ce qui s'apparentait plus à du poison qu'à de la magie. Mon père avait beau avoir tenté toutes les solutions possibles auprès de médecins compétents, elle semblait se dissoudre de l'intérieur, rongée par un mal invisible.
Et personne, non personne, n'entendait ses larmes la nuit, alors qu'il pleurait à côté d'elle. Et moi, je me contentais de prier dans un coin de ma chambre, en serrant am peluche comme seul réconfort. Mais quelqu'un, quelqu'un s'est approché de nous alors que la détresse inondait nos vies. Reika. Il s'assimilait au bienfaiteur le plus suprême et mon père n'avait pas hésité une seule seconde à le rejoindre, moyennant évidemment un remède contre la « maladie » de Maman. Depuis toujours, je l'avais vu souffrir. Depuis toujours, je l'avais vu se battre alors, comme un être désespéré à l'idée de perdre l'amour de son existence, mon père signa sa dévotion auprès de cet Homme. L'Etoile Rouge. Après tout, leur but était d'éradiquer la magie et par ce même biais, supprimer le poison qui lui volait le souffle de sa femme, jour après jour. Nuit après nuit. Et j'avais trouvé ça merveilleux.
Vous savez, quand j'y pense, je n'étais qu'un gamin. Je me suis retrouvé dans ce schéma, dans cette conjoncture qui accusait Shën comme la personnification du mal incarné. J'étais moi-même convaincu, en grandissant, que ce pouvoir qui prenait de plus en plus de place en moi, allait finir par me dévorer entièrement à mon tour. J'avais hérité de ce gêne, là. De cette maladie. Alors naturellement, je suivais ses projets. Ses missions. Ses grandes extravagances. Pourtant, j'évoluais différemment. A mon étonnement, je ne me sentais ni fiévreux et mes entrailles ne me donnaient pas la sensation de disparaître totalement, quand la présence de ma mère s'effaçait petit à petit. Non. Il ne m'attaquait en rien et je parvenais même, à vivre avec. Normalement. Alors Reika eut la bonne idée de m'utiliser comme d'un médicament expérimental pour tenter de la stabiliser, elle. Si fragile. Si douloureuse.
Pourtant, rien n'y faisait vraiment. Et mes suppliques n'y changeaient pas grand chose. Je me souviens encore de ce regard enragé. Je me souviens encore de mes prières inachevées alors que je le suppliais d'arrêter ce prophète. Mais indifférent, mon paternel lui disait de continuer, encore et encore, à me morceler toujours, m'arracher des lambeaux de chair, jusqu'à l'évanouissement. Ces bandages, qui ornaient mes bras, n'inquiétaient personne. Personne, sauf Lui. Une petite bouille rousse. Des grains de beauté. Des grands yeux bleus. Une frimousse quelque peu grognon. Nous avions quinze ans, tu te rappelles ? Je ne saurai pas vraiment expliquer pourquoi, ni comment mais si mon cœur débordait quotidiennement d'amertume, tu suffisais seulement à me faire sourire. Je t'ai aimé tout de suite, Ren. Ton caractère volcanique et tes manières brusques quand tu cherchais à me défendre. Cet attachement pudique mais réciproque était parvenu à me faire résister dans cette tornade de tourments. Tu me répétais sans cesse que tout irait bien. Qu'un jour, la magie finirait par s'évanouir dans l'obscurité pour nous libérer de ce mauvais sort. Je ne pouvais que t'aimer, à vrai dire, même si tu étais une sacrée tête de nœud.
Mais dans la longueur de ce culte, mon cœur lui, n'y croyait plus vraiment. Je n'étais pas le plus intelligent, mais je n'étais certainement pas le plus stupide non plus. Reika changeait les gens. Il faisait en sorte de les attendrir pour obtenir ce qu'il souhaitait. Ma mère faisait seulement parti de cette ficelle tactique qu'il tirait pour manipuler mon père. Tout comme il se servait de Toi, aussi. Toutefois, je n'étais pas dupe et chaque jour passé sous son règne, me donnait la nausée. J'avais bien essayé de t'expliquer, de t'ouvrir les yeux. Mais tu n'écoutais rien -tu n'écoutais d'ailleurs, jamais grand chose. Sauf que ce soir-là alors que la démence s'emparait de la seule femme de ma vie, j'ai fini par comprendre. Tout comprendre -rien ne pourrait la sauver. Je n'avais pu que la voir s'effondrer en me souriant tristement, fondant dans la matière en se laissant tomber bien bas, dans les entrailles de la terre où dormait sûrement la Gardienne qu'elle était devenue, prisonnière dans ce tombeau sous ces roches épaisses.
J'avais pris ma décision.
Je t'assure Ren, que c'était sûrement le choix le plus difficile à faire et ô combien, le plus mutilant malgré tout ce que j'avais enduré. Mais il avait fallu que tu te mettes à hurler, à me retenir et à me réclamer de rester. Tu m'accusais d'être fou mais pour moi, c'était l'Etoile Rouge entière qui l'était. Je n'avais plus d'estime pour cette famille qui m'avait recueilli, qui avait soi-disant cherché à m'aider. J'aurai tellement voulu t'emmener loin de tout ça. De ces manipulateurs. De ces hypocrites. Mais il a fallu que tu le choisisses, Lui. Reika. Ce sombre connard qui s'était consciemment servi du désespoir de mon père pour en faire sa loyale marionnette. Lui, au lieu de Moi. Et si je ne négligeais pas ta douleur à cet instant, j'étais répugné de constater que tu ne me suivrais pas, alors que nous avions tout vécu ensemble. C'était déchirant, cruel et terrible à subir. Je devais seulement m'en aller, pour un meilleur horizon.
Alors oui, je les ai rejoints, eux. L'Eglise Blanche. De mon plein gré. C'est ce que j'ai décidé. Ils ne sont pas aussi affreux que se plaisait à diaboliser notre petit chef arrogant. Là-bas, j'ai réussi à me trouver une place. J'ai même réussi à devenir officiellement un Inquisiteur. J'ai quelques hommes sous ma coupe, qui m'obéissent au doigt et à l'oeil. Je suis devenu un membre à part entière en tant qu'informateur. Oh, tu me connais, je les charrie de temps en temps -parfois jusqu'à l'excès mais je suppose qu'ils m'apprécient assez pour me supporter. J'ai même appris que mon collègue, Cyriacus, était ami d'enfance avec notre bon Elix. Le destin aime jouer des tours, lui aussi. Apparemment, ils étaient amis d'enfance jusqu'à devenir opposants. Est-ce une sorte de malédiction qui cherche à nous abîmer ?
La nuit, je dors extrêmement mal. J'ai toujours ta chaleur collé à ma peau et quand je tente de te trouver, tu n'es pas là, à mes côtés. Les draps sont vides, esseulés tout comme moi de cette tristesse profonde mais sache qu'un jour, je te retrouverai, Toi, pour te reprendre et te garder enchaîné que tu le veuilles ou non. Que tu me détestes ou pas. Si ta haine est bien la seule chose qui nous relie maintenant alors je l'accepte. Je suis un traître et je porterai ce statut jusqu'au bout. Avec l'Eglise Blanche, je ferai tomber cet enfoiré. Je le traquerai assidûment, jusqu'à lui arracher les tripes. Je ne suis pas seul. Des gens m'accompagnent et je saurai tirer cette épingle du jeu.
Pour Toi. Pour Nous. Pour ma Mère. Parce que ce pouvoir, c'est aussi tout ce qui me reste d'elle. Et Reika, sera le seul à disparaître dans le Néant. Plus personne ne souffrira.
Je t'en fais la promesse.