Un doux parfum d'antan [06/02/2022]

Le jeune homme avait beau débarquer sur cette île, et avoir perdu tous ces repères, il savait où aller pour trouver un peu de quiétude. Il le savait toujours, où qu’il se trouvait.
Depuis leur arrivée, à sa grand-mère et lui, cette dernière n’avait cessé de remuer ciel, terre et mer pour trouver d’autres membres de sa famille d’antan. Les recherches restaient pourtant infructueuses. Là où la vieille femme laissait exploser son impatience, parfois même sa colère, lui restait calme. A quoi bon tempêter face à ces échecs ? Après tout, aucune preuve n’indiquait que d’autres dragons du clan de Wai Po avait pu survivre au massacre qu’ils avaient subis… tout comme il n’y en avait pas plus pour dire le contraire.

Killian le savait, l’espoir pouvait être à la fois une planche de salut à laquelle se raccrocher pour rester hors de l’eau, comme l’ancre accroché au pied qui entraine au fond des océans.

Une énième explosion de colère de Wai Po l’avait donc décidé à aller se trouver un endroit où il pourrait se sentir en harmonie. Retrouver une nouvelle fois la sensation si agréable qu’il était ici, à Azuola, chez lui. Ainsi, il quitta la chambre qu’ils avaient trouvé en arrivant, pour déambuler le long des rues du quartier qui semblait proche de ce qu’il avait toujours connu. Cependant ce n’était pas l’objectif que d’y rester, de fait, le jeune homme traversa le quartier à pas mesuré se laissant guider par son instinct afin de trouver l’harmonie dont il avait besoin.
C’est donc, grâce à ce dernier et à une bonne dose de chance, qu’il finit par se retrouver dans une forêt. Un véritable lieu de paix où l’Harmonie régnait toujours. Chaque être s’y trouvant savait parfaitement où se trouvait sa place au sein de la forêt tout entire, que ce soit l’arbre qui grandit pour atteindre le soleil, le lapin qui mange l’herbe à son pied ou le renard s’y abritant pour mettre bas. Tous indépendant et dépendant à la fois. Une leçon d’équilibre que les hommes avaient oublié depuis longtemps pour ne plus voir que leurs intérêts propres, au détriment de tous les autres êtres.

Le nouvel arrivant s’arrêta une fois bien enfoncé dans les frondaisons. Fermant les yeux, il prit une profonde inspiration, comme s’il cherchait à découvrir et identifier toutes les odeurs du bois l’entourant. Rouvrant lentement les yeux, il enleva ses chaussures et avança encore un peu, pieds nus sans laisser de traces. Finalement, il s’assit contre le tronc d’un arbre venerable. Silencieusement, il laisse les sons autour de lui l’envahir, afin de mieux profiter de l’instant… et réfléchir au futur.

Wai Po refusait de prendre un travail pour le moment, son argumentaire ne tournant qu’autour du manque de temps que cela lui occasionnerait dans sa recherche des autres dragons… si dragons il y a sur l’île. Killian en venait donc à la seule solution qui s’imposait : il devait trouver un travail rapidement afin qu’ils puissent avoir un toit à eux. Ses compétences pouvaient peut-être s’avérer utile à l’hôpital du quartier. C’était une idée hasardeuse, pourtant la seule viable. L’autre impliquant internet et surtout un endroit bien à lui pour s’y adonner sans regard curieux. Azuola avait certes toutes les apparences d’un petit paradis, mais comme partout il y a souvent un coin sombre. Il représentait l’équilibre entre la lumière et l’ombre, un jeu d’enfant pour lui de trouver l’un et l’autre. Ne lui resterait donc plus qu’à chercher le moment venu, puis à se faire connaître.

Un mouvement sur sa droite l’obligea à interrompre sa réflexion. Quelque chose, ou quelqu’un, se trouvait là, pourtant en tournant la tête dans la bonne direction pour mieux voir, il ne vit rien d’un prime abord. Il fallut quelques secondes pour qu’à nouveau, Killian distingue une silhouette. Une silhouette presque familière qui le ramenait loin dans son passé. Etait-ce seulement possible ?
Malgré sa surprise, et son doute, il réussit à articuler un seul mot.

« Zaou ?»

Le dénommé Zaou offre un sourire chaleureux à Killian. Un sourire qu’il ne se remémore que trop bien. Combien de fois l’avait-il vu alors qu’il jouait avec lui sous le pommier centenaire ? Ou alors qu’il lui racontait ses aventures imaginaires ? Combien de disputes avec sa sœur lui avait-il partagé ? Combien de larmes et d’éclats de rire ? Il n’avait pas tenue le compte à l’époque, pensant que son ami serait éternel et surtout que jamais il ne le quitterait.
Et pourtant…

Et pourtant il avait quitté la Chine pour aller aux Etats-Unis, loin de ce qu’il connaissait. Seul l’espoir de ses parents en une vie meilleure pour lui et sa sœur l’avait suivi loin de sa patrie natale. Un espoir fou qui s’est avéré avoir un coût dont il peinait encore à assumer la facture.
Retrouver ainsi cet ami, le ramenant à de lointain jours heureux, était un baume sur l’âme meurtrie de Killian. Retrouvant un peu de contenance, maintenant la surprise un peu dissipée, il rendit son sourire à Zaou.

« Cela fait si longtemps que personne ne m’a appelé ainsi… Tu m’as manqué mon ami et je pensais ne jamais avoir la chance de te revoir. Je suis vraiment heureux de te croiser aujourd’hui, tu n’as pas changé contrairement à moi. »

La situation semblait irréelle et tellement familière en même temps. Huotian ne savait pas vraiment par où commencer. Depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vu, il lui était arrivé tant de chose. Les Etats-Unis, la perte de sa sœur, puis celle de ses parents, son activité de hackeur, son arrivée ici avec Wai Po … A bien y réfléchir, cela faisait un bon point de départ, après tout… comment son ami était arrivé jusqu’ici ? Lui qui aimait tant son pommier centenaire dans la vallée.

« Depuis quand es-tu arrivé ici Zaou ? Et… comment ? Je me souviens que tu ne quittais que très rarement le vieux pommier de la vallée. Qu’est-ce qui t’a poussé à venir sur cette île ? Est-ce que tout va bien pour toi ? »

Killian laissa sa curiosité parler pour lui. Comme toujours avec son intangible ami, il se sentait en sécurité, apaisé. L’Harmonie qui régnait en ce lieu n’était en rien troublé par leur présence, au contraire même cela ne semblait que la renforcer. Il fallait dire que l’équilibre était important pour eux deux.